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: ROBERT SACRÉ
INTRODUCTION De nos jours, les temps sont peut être un peu moins durs pour une petite partie de la population africaine-américaine mais rien n’a changé pour les musiciens authentiques, populaires en ce sens qu’ils sont issus du peuple et qu’ils restent attachés à leurs racines musicales. Ils ne sont pas « tendance » et donc tout ce qui est « people » et média de masse les ignorent superbement, ils rament et certains se noient, confrontés plus que d’autres à la crise actuelle du disque causée par Internet et les téléchargements, crise qui affecte encore plus les petites compagnies indépendantes (les « Indies ») que les « Majors » lesquelles ne misent plus que sur les grandes stars omniprésentes dans les médias (matraquage) mais triées sur le volet et tant pis si leurs productions sont aseptisées, formatées, avec de moins en moins de rapports avec l’authenticité du folklore rural ou urbain dont ces prédateurs pillent les trésors en s’en inspirant de plus en plus vaguement. On pourrait faire une comparaison avec le cinéma, ses films indépendants et ses blockbusters. Dans une interview récente, l’acteur Andy Garcia disait son bonheur de tourner « City Island » - un petit film indépendant présenté récemment à Gand - avec sa fille Dominik (dans la vie ET dans le film) - une comédie douce-amère sur la famille mais aussi une tranche de vraie vie où des couples de par le monde peuvent s’identifier aux protagonistes. George Clooney dans une autre interview avouait tourner des blockbusters (style « Ocean’s 12 » ou « 13 ») pour se faire assez de fric pour tourner ses films indépendants sans les emm…rds tarés/schizos d’Hollywood pour venir lui mettre des bâtons dans les roues. Mais qui peut s’identifier à Indiana Jones, Superman et autres Spiderman ? Ou au Joker ? A moins d’être parano ou maso ou schizo ? Dans les musiques africaines-américaines, les blockbusters ce sont les bluesmen (?) de plus en plus caucasiens de teint comme Popa Chubby, Joe Bonamassa, Eric Clapton, Tommy Castro et consorts (pour ne citer que des artistes de qualité) et les petits indépendants sont tous les bluesmen ruraux du Mississippi, de l’Arkansas et autres sanctuaires du Deep South et de l’East Coast (et, si si si, il y en a encore des douzaines en activité) ou ceux des ghettos urbains de Chicago, Memphis, Houston, Oakland et ailleurs ; là où cela diverge du cinéma, c’est que les blockbusters du blues ne financent pas leurs pauvres collègues des styles traditionnels, privés de radio, de télévision et de couvertures dans la presse « people ». C’est pareil dans la musique religieuse africaine-américaine (le gospel) où les blockbusters du gospel contemporain qui raflent toute la monnaie sont majoritairement Noirs comme Kirk Franklin, Yolanda Adams, Les Winans, Dottie Peoples et pas mal d’autres (à noter que la compétition « Blanche » s’amplifie) mais n’aident pas les solistes et groupes de gospel traditionnel qui sont restés très « roots » alors que les autres font feu de tout bois sur les plans mélodiques et instrumentaux, du rap à la pop et à la variété la plus racoleuse (et pour les lyrics, « Jesus » remplace le « Baby » du blues et du jazz chanté comme chacun sait). Le jazz n’échappe pas à ce phénomène navrant. La plupart des bluesmen et des groupes de gospel traditionnels ont peu de chance d’accéder un jour tant aux « Majors » qu’aux plateformes de téléchargement sur Internet et ils prient (humour involontaire) pour que le support disque vive encore longtemps, même si, comme pour nos artistes, ici et aujourd’hui, le support disque devient de plus en plus une carte de visite (pour tourneurs, festivals et salles) et un objet à vendre en fin de concert plus qu’un succès de vente espéré chez les disquaires et autres points de vente qui se font de plus en plus rares. Voilà bien toutes les raisons pour lesquelles il faut apporter un support inconditionnel à toutes les petites compagnies indépendantes qui malgré la crise et l’évolution des mentalités des consommateurs de musique, telle que décrite ci-dessus, continuent à produire du bon jazz, du bon blues Noir et du bon gospel Noir. Dans
les pages du fanzine papier nous avons vanté les mérites des compagnies DELMARK (Chicago),
ALLIGATOR (Chicago), AIRWAY (Chicago), FRÉMEAUX et ASSOCIÉS (France), THE SIRENS (Chicago encore !),
BLACK & TAN (Hollande) et BLUES IMAGES (USA).
JUNIOR WELLS & THE ACES : "Live In Boston 1966" - Delmark DE 809 (2010)
Bob
Koester a mis la main sur un document essentiel du Chicago blues des fastes
années 60 et un jalon inestimable dans la carrière du génial Junior Wells :
en 1965, révélé par ses faces States et son passage chez Muddy Waters, il a
enregistré son premier album avec Buddy Guy ("Hoodoo Man Blues", Delmark
612) qui lui ouvre un public plus jeune, plus blanc et plus large mais à
Boston, un an plus tard, il a repris ses talentueux partenaires des débuts,
les Aces (Louis Myers, gt, Dave Myers, bs, et Fred Below, dm) et il va
produire un concert où il est totalement professionnel et rigoureux mais en
même temps complètement détendu et relax, plaisantant entre les morceaux
avec le public, improvisant de manière impromptue (tant il est à l’aise avec
les Aces qui sont toujours en phase avec lui quoi qu’il expérimente). Wells
se lâche à fond, Junior Woop par exemple est tout à fait improvisé
‘on the spot’ mais un festival magique de maîtrise de l’harmonica (Junior)
puis de guitare (Myers) et le public ne s’y trompe pas, qui fait un
triomphe au groupe , alors que, à Boston, en 1966, on est certainement
peu familier avec les morceaux de bravoure de Wells (son Messin With The
Kid écrit par Mel London ou un Worried Life Blues que son
créateur S.J. Estes reconnaitrait difficilement) ou des reprises marquées
de son sceau (Feelin' Good de Jr. Parker, That’s Alright de
Jimmy Rogers, Look On Yonder’s Wall de Big Boy Crudup, Hideaway
de Freddy King, etc.). En 1966, Got My Mojo Workin’ n’est pas
encore usé jusqu’à la corde comme de nos jours mais en plus Louis Myers et
Fred Below en donnent, pendant les trois premières minutes, une version
originale et tout à fait passionnante à écouter. Les deux morceaux qui ne
sont pas des reprises (If You Gonna Leave Me et I Don’t Know)
semblent des improvisations surprises où Wells rassemble des fragments de
morceaux qu’il a entendus mais qu’il organise superbement et on peut admirer
aussi la façon dont les Aces suivent sans souci, comme si tout cela avait
fait l’objet de répétitions alors qu’il n’en est rien ! Chapeau !
WILLIE BUCK : "The Life I Love" - Delmark DE 805 (2010)
Je me
souviens d’une virée dans les clubs de South Side de Chicago en avril 1985
avec Dick Shurman, Jim O’Neal, Billy Boy Arnold et quelques autres et
d’avoir eu l’occasion de découvrir un jeune chanteur doué, au timbre de voix
chaud, pas très éloigné de celui de Billy Boy (qui se demandait s’il devait
se réjouir ou râler et finalement a choisi de se réjouir), c’était Willie
Buck ! Dans la foulée, je me procurais quelques 45 tours et le seul album
qu’il ait gravé sous son nom, sur sa propre compagnie Bar-Bare en octobre
1982. C’est ce LP devenu pièce rare de collection qui est réédité par
Delmark quasi trente ans après l’original, avec, en prime, cinq faces
gravées live au Robert’s 500 Room sur la 63e rue en 1984. Pour
l’anecdote j’ajouterai que j’ai revu un Willie Buck, en très grande forme,
en juin dernier au Blues Brunch que Delmark organise chaque année, dans ses
locaux du Jazz Record Mart, au milieu des disques, le dimanche matin du
festival de blues.
JIMMY DAWKINS : "The Leric Story" - Delmark DE 808 (2010) Au début des années 80, l'un des plus grands guitaristes du Chicago blues- West Style, Jimmy Dawkins, créa sa propre compagnie, Leric Records, et y donna la parole en studio à des musiciens que les grandes compagnies négligeaient, seuls des 45 tours furent produits mais ils sont devenus des pièces de collection introuvables, et on peut saluer l’initiative de Bob Koester et de Delmark Records d’en sortir quelques pièces de l’oubli (*), dont des inédits, pour le plus grand plaisir des amateurs. Ainsi on trouve ici quatre faces du chanteur Little Johnny Christian (décédé en 1993) un maître du soul-blues qui a fait les beaux samedis soirs de plus d’un club de la Windy City tout au long des années 70 et 80 ; le chanteur Tail Dragger est ici aussi avec deux faces où sa voix, rappelant celle de Howlin' Wolf, est bien mise en valeur. A noter que cet artiste est toujours bien en activité aujourd’hui et fut abondamment programmé lors du Chicago Blues festival 2010 de même que Nora Jean Wallace, présente elle aussi avec deux titres musclés dans ce recueil. Ces trois vocalistes sont évidemment gratifiés d’un accompagnement de choix, des guitaristes comme Jimmy Dawkins lui-même, le guitariste virtuose au son très personnel (et inimitable !) ou Michael Coleman, Chico Banks ou Johnny B.Moore ; des bassistes comme Willie Kent, des pianistes comme Lafayette Leake, des batteurs comme Ray Scott, etc., rien que du beau monde. Il y a aussi deux bassistes/chanteurs dont Queen Sylvia Embry, décédée en 1992 (deux faces) et Big Mojo Elem décédé en 1997 (une face restée inédite à ce jour). Enfin, il y a deux faces d’un groupe gospel (Sister Margo & Healing Center Choir) et trois faces restées inédites à ce jour d’un Vance Kelly qui est devenu au fil du temps un des meilleurs représentants du soul-blues de Chicago et qui, à ce titre, figurait au programme du Chicago Blues Festival 2010 (comme Jimmy Dawkins d’ailleurs).
(*) : Inutile
de dire qu’il y a matière à volumes supplémentaires pour peu que ce premier
CD remporte le succès commercial qu’il mérite.
ZORA YOUNG : "The French Connection" - Delmark DE 802 (2009)
Zora Young est une valeur
sûre du catalogue Delmark et après sa petite escapade chez Airway Records ("Sunnyland"
- CD 4765), la revoici « at home » pour ce qui est
de la compagnie mais enregistrée en Alsace (d’où le titre), en trois séances
(dont une live) entre août 2007 et novembre 2008, avec des groupes à
géométrie variable ; dotée d’un timbre de voix reconnaissable entre mille –
on l’entend une fois et on la reconnaîtra dans n’importe quel blindfold-test
- Zora fait partie du top-dix des meilleures chanteuses de blues depuis plus
de trente ans et son histoire d’amour avec l’Europe a commencé au
début des années 80, elle a effectué plus de vingt tournées par chez nous et
s’est constitué une foule d’admirateurs passionnés. Ici elle alterne séances
acoustiques et électriques avec en commun le multi-instrumentiste Bobby Dirninger (guitares, piano, orgue, percussions) et divers musiciens dans un
répertoire de Chicago blues (surtout) mais aussi de gospel (Just A
Closer Walk With Thee), de jazz et même de country (Mystery
Train) qu’elle se réapproprie sans peine et avec son talent habituel. On
retiendra plus particulièrement Better Be Ready, une composition de
Dick Shurman (plus connu comme producteur que comme compositeur) ou Wang
Dang Doodle un hommage en live à Koko Taylor tout juste disparue et des
versions personnelles de Honey Bee et Rock Me Baby.
QUINTUS McCORMICK BLUES BAND : "Hey Jodie !" - Delmark DE 801 (2009)
Delmark et Bob Koester (le boss) sont quand même toujours à la recherche de nouveaux
talents, ils cherchent et ils trouvent, comme ce McCormick qui n’est pas un
inconnu évidemment sur la scène du Chicago blues mais qui apprenait ses
gammes dans l’ombre de ses mentors (J.W. Williams, Lefty Dizz,…) avant de se
sentir prêt à voler de ses propres ailes. Influencé aussi par Albert King,
son blues est proche de la soul music, très dansant et festif.
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