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HOSEA HARGROVE : "Tex Golden Nugget" - Dialtone Records (2010)
Dialtone poursuit son œuvre salvatrice en faisant rentrer Hosea Hargrove en
studio douze ans après son dernier disque sur Fedora. La recette appliquée
avec Lil Joe Washington fonctionne encore ici. Prenez un artiste qui a vécu
(Hosea est né en 1929 et a appris son blues à la dure), adjoignez-lui un
orchestre aussi professionnel que capable de suivre les errements de
quelqu'un qui s'est construit tout seul et n'a plus rien à apprendre
aujourd'hui, et vous obtenez un mélange délicieux et efficace de tradition
et de modernisme, qui transcende les originaux et les reprises (dont un
Years Go Passing By aussi blues qu'inattendu), en donnant à l'ensemble
un sacré swing. Negro Down en ouverture ou Boog A Loo
illustrent parfaitement la capacité des accompagnateurs (Scoot Chester, g ;
Jason Moeller, dms ; Mike Keller, bs ; Nick Conelly, kbd) à suivre un leader
autonome, lui laisser toute la place pour s'exprimer, tout en resserrant les
boulons juste ce qu'il faut pour que ça balance, respire, touche au coeur.
Grâce à ça, Dialtone s'inscrit sans peine parmi les faiseurs de beau son,
comme Fedora en son temps, ou Electro-Fi depuis. Hosea Hargrove compose et
reprend dans un éventail de styles, du blues terrien texan à l'électrique
vigoureux, avec des pointes funk ou cocktail, d'autant plus impressionnant
que rien ne semble forcé ni hors de propos. La voix est celle d'un homme âgé
mais elle reste présente, juste, maîtrisée, c'est à un vrai chanteur que
nous avons affaire. Une réussite.
: Christophe MOUROT
Chapeau à large bord, guitare à boite à cigares et manche à balai, son
distordu, le Révérend K.M. Williams est-il un coup marketing ou un trésor
caché ? La deuxième option s'impose quand on se rend compte, presque
honteux, que K.M. Williams a plus de vingt disques à son actif, qu'il aurait
appris la guitare avec Elmore James, qu'il a joué avec Little Milton, Robert
Lockwood, les Holmes Brothers, et qu'il a tourné en Europe avec Mavis
Staples. Mieux vaut tard que jamais et ce disque sera une révélation ou une
confirmation, dans tous les cas un des meilleurs de 2010. Chant véhément et
implorant à la fois, voix puissante dotée d'un vibrato de bon aloi, rythmes
hypnotiques, riffs qui ne le sont pas moins, slide omniprésente, percussions
primitives (Washboard Jackson), accompagnateur à tout faire (Hash Brown, g,
hca), chœurs en appoint (délicieux contraste entre la rude voix du révérend
et la fraicheur de celles des deux choristes) qui nous font rentrer
directement dans l'église, répertoire sans frontière entre le blues et le
gospel (comme le dit le Révérend lui-même : "Le blues pose des questions sur
la vie, le gospel donne les réponses"), c'est le disque qu'on attend depuis
toujours, celui qui rassemble tout le monde. Le message est clair : l'espoir
est là. Chapeau bas ! : Christophe MOUROT
DR JOHN & THE LOWER 911 : "Tribal" - Proper Records (2010)
Doctor John (soixante dix ans) est un génie touche-à-tout, c’est un
euphémisme le concernant. Son œuvre discographique conséquente (vingt-sept
albums) ne dénote ni point faible ni faute de goût, et a souvent atteint des
sommets. L’album que vous tiendrez bientôt en mains en est un, sans doute
son plus bel effort depuis dix ans et "Duke Elegant" consacré à l’œuvre
d’Ellington. Ici, il faut laisser ses œillères au vestiaire et accepter
d’entrer sans résister dans l’univers de la Nouvelle-Orléans, ville
multiculturelle teintée de mille influences, mais racinienne en diable.
Aucun ouragan ne viendra jamais à bout de la richesse culturelle d’une ville
telle que N.O., et Mac Rebennack en est de longue date l’un des fleurons. : Marc LOISON
SOPHIE KAY & PANAM' EXPRESS : "Old-Orléans" - Self-Released (2010)
De tous les concerts vus à
Cognac Blues Passions, et ils sont nombreux, quelques-uns, enchanteurs,
restent dans les mémoires. Ceux de Sophie Kay, il y a quelques années, en
sont. Quel régal et quelle surprise de découvrir alors ce mariage inédit de
cette voix gouailleuse, de ce chant en français fortement influencé par la
chanson réaliste des années quarante et du blues appuyé par la guitare
virevoltante et incroyablement inventive de Little Victor. Après "Rengaines"
en 2001 puis "Blues De Paname" en 2007, Sophie Kay nous revient sur disque
avec un album subtilement titré "Old-Orléans" dont elle a composé la
totalité du répertoire. Little Victor n'est plus guère présent que sur deux
pièces et c'est Sophie elle-même qui fait le boulot à la six cordes. Une
dizaine d'autres musiciens l'assistent dont on ne citera que les sections
rythmiques qui se partagent la tâche : Thibaut Chopin et Simon Boyer d'une
part ; Renaud Cans et Rockin' Lucky Lobillo d'autre part. Alors même que la
musique n'oublie jamais le blues, les textes sont succulents et on se
délecte dès ce J'ai chaud qui respire la moiteur ou le superbe Tu
Peux M'oublier en duo avec Laura Mayne (Native) et avec l'harmo de
Little Victor. La tension monte avec C Noël puis La Dèche, un
de mes moments favoris. Quel plaisir d'écouter les textes de La Fièvre
Acheteuse ou encore le très chouette et émouvant On M'appelle Madame.
Mais on atteint peut-être les sommets avec le remarquable Zoltan au
texte vraiment fort et à la musique non moins poignante. Sans conteste, un
très beau disque.
: Luc BRUNOT
RAOUL FICEL : "Qui A Tué Robert Johnson ?" - Tempo (2010)
Il est des albums qui ont
la couenne raide ! Enregistré en trio roots il y a quelques années et prêt à
être envoyé sous presse, "Faut Qu’on Sème" ne verra jamais le jour. Quelques
uns de ses titres apparaitront sur "Nenette Boogie", l’album du Raoul Ficel
one man band réalisé à Fribourg, chez et par JC Bovard, chanteur
harmoniciste suisse et vieux complice de Raoul qui ont accompagné ensemble -
entre autres - Louisiana Red et Big Time Sarah en tournée.
Il aura fallu patienter jusqu’en 2010 pour voir
apparaître dans les bacs ce "Qui A Tué Robert Johnson ?", enregistré en
groupe sous la houlette de son mentor et ami Lenny Lafargue.
ALABAMA MIKE : "Tailor Made Blues" - Jukehouse (2010)
Alabama Mike nous prend par surprise avec un
deuxième album très varié, nettement démarqué de l'approche monostyle du
formidable "Day To Day". Le groupe de musiciens est le même et on retrouve
quelques plages de blues à ras de terre, avec moins de slide toutefois.
Intelligemment, Alabama Mike colore sa palette de sonorités nouvelles en
évolution douce. Une place plus grande est laissée aux instruments autres
que la guitare, des cuivres font leur apparition, quelques ambiances sont
plus intimistes (la ballade acoustique I'm Gone) et trois titres
soul, qui rompent l'unité du disque, montrent une autre possibilité
d'évolution. Mais les pigments de base sont là, rythmique et guitares
imparables, variations des rythmes, référence constante à l'âge d'or des
années 50, ambiance poisseuse, parfois dramatique, et chant expressif.
Chanteur non instrumentiste, Alabama Mike se doit de s'imposer par le chant
et il y arrive sans peine avec une des meilleurs voix apparues récemment,
toujours bien posée, expressive, rauque, tour à tour mélodieuse et aboyée,
douce et forte, rythmée par des intonations et coups de gorge justement
dosés. Au risque de véhiculer un cliché, il faut remarquer que les meilleurs
chanteurs d'aujourd'hui restent ceux qui ont commencé à l'église. Ce
deuxième disque réussi montre qu'Alabama Mike n'était pas un coup marketing
mais un artiste d'avenir dont on attendra le prochain opus avec impatience.
: Christophe MOUROT
JIMMIE VAUGHAN : "Plays Blues, Ballads & Favorites" - Proper Records (2010)
: Marc LOISON
DAVE RILEY & BOB CORRITORE : "Lucky To Be Living" - Blue Witch Records (2009)
Suite logique du "Travelin The Dirt Road" paru en Novembre
2007, premier CD de ce duo qui était fait pour se rencontrer, "Lucky To Be
Living" vient prouver que la distance qui sépare le torride désert d'Arizona
aux boues saumâtres du Mississippi ne pourrait briser l'amitié qui lit Dave
Riley à Bob Corritore... : Xavier BOULANGER
VERNON RAY HARRINGTON : "West Side Blues" - Atomic H² Records (2009)
Trente ans de carrière à
Chicago et un premier disque en 2009 seulement, saluons cet effet pervers
qui fait de la disparition des grands noms une opportunité pour les "seconds
couteaux" d'apparaître à la lumière. Rien de péjoratif dans cette
appellation, juste le constat que Vernon Ray Harrington et ses pairs n'ont
pas le niveau des maîtres du genre. Ce ne sont pas non plus des amateurs et
le contexte actuel permet de réévaluer leur œuvre et leur importance. Des
artistes comme Big Leon Brooks, Lefty Dizz, Johnny Dollar, DC Bellamy,
Johnny Yard Dog Jones et Vernon Ray Harrington ont leur place dans
l'histoire du blues. Leur côté obscur, soldat du blues, exempt de
fioritures, respectueux des fondamentaux, est justement la garantie d'un
blues authentique. Vernon fait partie de la grande famille Harrington au
sein de laquelle on compte Eddie Clearwater, Carey Bell et ses fils. Son
oncle, propriétaire de Atomic H Records, invite un soir Magic Sam à venir
jouer à la maison et Vernon ne s'en remettra pas. C'est le top départ pour
trente ans au service du blues, dans les clubs, les festivals, sur les
routes, avec Willie Kent, Lovie Lee, les Sons Of Blues, et diverses formules
du Chicago Blues Festival. Sur ce premier disque, Joe Harrington à la basse,
Tony Bagdy à la guitare, Kevin Ford à l'orgue, Matt Nischan à la batterie,
connaissent leur affaire, et Vernon, chant et guitare, peut se laisser aller
avec quatre bons originaux et six reprises, qu'on aurait aimé plus
aventureuses. Bien en place au chant, Vernon est incisif à la guitare avec
quelques beaux passages rappelant ses influences, particulièrement celle de
Magic Sam. Billy Branch est invité sur trois titres. Production sobre, très
beau son de guitare, rythmique millésimée, le feeling est là, on se croirait
au pied de la scène. Une très belle production.
: Christophe MOUROT
BIG DADDY WILSON : "Love Is The Key" - Ruf Records (2009)
Big Daddy Wilson Blount
est né il y a près de cinquante ans à Edenton, une bourgade de Caroline du
Nord… Les hasards de la vie et surtout le désir d’échapper à une vie trop
modeste l’ont conduit à s’engager dans l’US Army, peu après avoir quitté
l’école à seize ans… Après avoir surmonté le mal du pays et fini par
retourner Outre-Rhin à l’issue de permissions pleines de doute, il y a
rencontré la gretchen qui allait devenir sa femme. Bon et le blues dans tout
ça me direz-vous ? Eh bien, Wilson n’en avait pratiquement jamais entendu
parler jusqu’à un âge déjà avancé… Un peu de gospel à l’église, de la
country à la radio, mais de la musique du Diable que nenni ! Une entorse
fatale à nos idées reçues…
: Dominique LAGARDE
MISSY ANDERSEN : "Missy Andersen" - Main Squeeze Records (2009)
A défaut d’être une
lointaine descendante du fameux Hans-Christian aux 164 contes, Missy
Andersen est-elle en route pour devenir la nouvelle petite sirène du port de
Copenhague où ce CD a été enregistré ? Missy naît à Detroit avant que sa
famille ne quitte la Motorcity pour le Queens. C’est là qu’elle débute sa
formation musicale, encouragée par des parents férus de blues, soul,
rhythm’n’blues, gospel et jazz. Mais Missy appartient plutôt à la génération
rap et son premier single Be For Real paru sous le nom de Denyce
"Flip" Isaac est à classer dans ce domaine. Un morceau dont l’audience reste
confidentielle malgré l’occasion qu’il lui donne de faire les premières
parties de Cissy Houston. C’est un nouveau déménagement vers San Diego à la
fin des années 90 qui va décider de son "recentrage" vers le blues, Missy
devient membre des Juke Joint Jezebels puis de Tell Mama.
: Dominique LAGARDE
JESSE DEE : "Bittersweet Batch" - Munich Records (2009)
Le carnet d’adresses
des néo-soul brothers and sisters se remplit de jour en jour. Après Eli
"Paperboy" Reed et Raphael Saadiq plébiscités en l’espace de quelques
semaines - et pour ne citer que les plus connus - voici un nouvel aspirant
fort prometteur… en espérant qu’il n’ait pas jeté toutes ses cartes dès ce
premier album.
: Dominique LAGARDE
Deuxième disque du néo-orléanais chez Music Maker, avec du blues sous
influences multiples. On cite souvent le lien fort entre le swamp blues et
la musique de Jimmy Reed mais il en existe un autre avec celle de John Lee
Hooker. Il suffit d'écouter des compilations comme "Bloodstains On The Wall"
(ACE CDCHD 576) pour se rendre compte des similarités entre le blues de la
Louisiane et celui développé par l'homme qui a inscrit Detroit sur la carte
du blues. C'est un peu cette synthèse qu'on entend ici grâce à Alabama Slim
en leader et Little Freddie King à la rythmique. Mais c'est surtout une
séance reposante d'authentique blues à ras de terre, joué et chanté sans
ostentation. La formule musicale dépouillée privilégie la justesse et
l'émotion, les notes bleues oui, l'esbroufe non. Le chant est posé, la voix
est mâle, le ton est celui du conteur, imposant le respect et l'écoute
attentive. Le vécu et la personnalité d'Alabama Slim font que ses reprises
sont quasiment aussi originales que ses compositions personnelles.
L'ambiance intimiste est heureusement contrebalancée par quelques titres
avec batterie et basse, comme sur l'entrainant I Love My Guitar. Certains
artistes publiés par Music Maker peuvent paraître mineurs, ce n'est pas le
cas avec Alabama Slim.
: Christophe MOUROT
PURA FE : "Full Moon Rising" - DixieFrog Records (2009) Le virage électrique pris par Pura
Fé sur cet album peut il susciter une nouvelle querelle entre anciens et
modernes, entre classiques et romantiques, digne de la bataille d’Hernani,
ou plus près de nous des propos acerbes prêtés aux folkeux lorsque Bob Dylan
mystifia son monde dans le vacarme de Newport il y a tout juste…
quarante-cinq ans ?
Sans doute non, mais il est toujours amusant et instructif de lire dans les
notes de pochette que cette transition de l’acoustique à l’électrique puisse
provoquer des cas de conscience tant chez les musiciens que chez leurs fans.
: Dominique LAGARDE
MIGHTY MO RODGERS : "Dispatches From The Moon" - DixieFrog Records (2009)
Après la guerre de Sécession dans "Redneck
Blues", Mighty Mo Rodgers nous relate en musique un autre évènement – moins
dramatique – de l’histoire des Etats-Unis : l’arrivée de l’homme sur la lune
! En fait "Dispatches From The Moon" est écrit comme le prolongement d’un
blues de Howlin’Wolf enregistré en 1973 Coon On The Moon dans lequel
le vieux loup prophétise la conquête de l’espace par un "nègre". Original,
au bas mot. D’autant qu’ on se retrouve ici branché sur la première radio à
émettre depuis la lune avec un DJ black aux manettes.
: Dominique LAGARDE
JOE LOUIS WALKER : "Between A Rock And The Blues" - DixieFrog Records (2009) Dans
les années 90, certains avaient prédit quelques soucis à Joe Louis Walker
devant l'avalanche de ses sorties discographiques. Ils ne s'étaient pas
trompés et depuis quelques années la production de celui qui est une des
vedettes contemporaines du blues mais dont la verve se tarissait, était
devenue assez indigente. "Witness To The Blues" sorti en 2008 semblait
marquer le début de la sortie du tunnel ce que confirme, on ne peut plus
brillamment, ce "Between A Rock And The Blues", à mon sens son meilleur opus
depuis le fantastique "Blues Survivor" de 1993. Le style, la production ne
sont certes pas les mêmes mais ce qui réunit dans la réussite ces deux
disques, c'est l'inspiration. Comme pour son CD précédent, la production est
confiée à Duke Robillard qui s'abstient en revanche (sauf sur un titre) de
jouer de la guitare. Parmi la solide équipe de musiciens, on remarque la
présence de Bruce Katz aux claviers, l'utilisation ponctuelle de saxophones
et d'un trombone ainsi que l'intervention à l'harmonica de Sugar Ray Norcia.
Dommage que l'album s'ouvre sur un I'm Tide bourrin et une guitare
trop rock. L'aventure démarre vraiment avec Eyes Like A Cat qui nous
entraine irrésistiblement. Le son est bien plus rugueux qu'à l'époque Verve
mais le grand souffle du blues est là et c'est un enchantement presque tout
le long de ce disque varié agrémentant son blues de soul, de jazz, de swing
mais aussi d'une bonne dose de rock. Way Too Expensive et I've
Been Down figurent parmi les sommets du disque mais le meilleur moment
on le doit au long slow blues Hallways sur lequel chant de Joe Louis
fait merveille. Veillez à ranger soigneusement ce CD à portée de votre mange
disque, en compagnie du "Blues Survivor" et du "Live At Slim's, Volume 2". : Luc BRUNOT
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