Kate & Nick Moss (Photo X - D.R.)


 

Alors que l'industrie musicale se désole de la chute des ventes de CD, toute la planète est occupée par les iPods et autres MP3. Toute ? Non. Car il y a encore de par le monde des gens qui résistent à l'envahisseur.
De ceux qui ont fait toutes les guerres (Delmark) à leurs émules* (Alligator), en passant par de plus jeunes gens infectés par le virus (de blues, bien sûr).
Penchons-nous sur le cas Blue Bella.
 

* Oui, bon, d'accord… 
 

En 1997, Nick Moss, jeune guitariste chicagoan alors âgé de vingt-huit ans, enregistre son premier disque, First Offense. Et part à la recherche d'un distributeur, son précieux album sous le bras. Passons sur la longue quête du Graal, de distributeur, Nick n'en trouve pas, malgré la bonne réputation dont il bénéficie dans le milieu. En effet, Jimmy Dawkins l'a employé comme bassiste, Buddy Guy aime l'avoir sur la scène de son Legend's, Jimmy Rogers le considère comme son protégé et Dick Shurman en dit le plus grand bien. Mais rien n'y fait. Pas de label pour Nick Moss.
Qu'à cela ne tienne. Avec l'aide de son épouse Kate, il crée donc le sien, Blue Bella Records, en 1998. 
C'est le début de l'aventure.

Après avoir enregistré deux nouveaux albums, Got a New Plan en 2001 et Count Your Blessings en 2003, Nick a déjà utilisé les services de quatre studios différents pour ses trois disques. Aussi crée-t-il son propre studio, Rancho de Rhythm, à Elgin, près de Chicago, à la même adresse que le label. Il y enregistrera encore deux albums, Sadie Mae en 2005 and Play It Til Tomorrow, un double CD, en 2007, non sans avoir produit un live en 2006, acclamé par la critique comme par le public, le fameux Live At Chan's. Un nouveau Live At Chan's est d'ailleurs prévu, cette fois-ci avec Lurrie Bell en invité, et peut-être même Ronnie Earl, qui se trouvait là et qui a joué quelques titres avec Lurrie, Nick et les Flip Tops à cette occasion. 

Mais Nick Moss est de nature généreuse, et si c'est bien pour sortir son propre album qu'il a créé ce label, il n'a ni les yeux ni les oreilles dans sa poche, et voit bien que d'autres jeunes chicagoans talentueux galèrent également. Aussi leur propose-t-il de le rejoindre sous le logo de Blue Bella.
C'est ainsi que Gerry Hundt, par ailleurs bassiste des Flip Tops, peut montrer son talent de mandoliniste blues avec Since Way Back, co-produit avec Moss, en 2007, que The Killborn Alley Blues Band se voit gratifier de deux opus, Put It In The Alley en 2006 et Tear Chicago Down l'année suivante, tous deux produits par Nick, que l'excellent Bill Lupkin, lui aussi transfuge de chez Jimmy Rogers, après avoir autoproduit un Live at the Hot Spot en 1999 - chaudement recommandé d'ailleurs - a rejoint le label avec d'abord Where I Come From (2006), puis Hard Pill To Swallow (2007), eux aussi produits par Nick, alors que ce dernier, présent à la guitare sur plusieurs titres de tous ces CD, en est à six galettes distribués par Blue Bella Records, le septième, on l'a vu, étant en préparation. 

Mais Blue Bella n'est pas un label traditionnel, où l'artiste signe, enregistre, et ne s'occupe plus de rien. Non, chez les Moss, on travaille en cooptation. Chaque groupe est responsable de sa propre promo ainsi que de ses propres duplications qu'il assume financièrement. Par exemple, Nick Moss & the Flip Tops eux-mêmes embauchent un publicitaire et un promoteur pour chacune de leurs tournées.  

C'est en 2008 que Blue Bella Records souffle ses dix bougies. S'il devait y avoir un bilan à faire à cette occasion, il faudrait y mentionner, en plus des onze CD déjà parus, autant de  nominations aux Blues Music Awards (ex WC Handy Awards) depuis la création du label, ce qui n'est quand même pas mal, sans parler du retentissement grandissant de ses artistes.

Et Kate Moss, dans tout ça ?

Bien que partageant son patronyme avec un célèbre top model dont les affres défraient toujours la chronique des pages pipoles, et dotée d'une plastique qui aurait très bien pu lui offrir la même carrière, Madame Moss ne se contente pas d'être belle. D'abord elle joue de la basse, et il lui arrive de le faire au sein des Flip Tops quand, par exemple, Gerry Hundt prend la mandoline. Elle est aussi une très bonne photographe, et c'est aussi elle qui se charge du design des albums du label. Ajoutez à tout ça ses casquettes d'agent et de public relations, et vous aurez le portrait d'une femme à la vie bien remplie. 

Il ne nous reste qu'à souhaiter longue vie à Blue Bella Records, ainsi que tout le succès possible à tous ses acteurs !

: René MALINES 

Remerciements à Kate Moss pour son aide. 

Sources :  www.bluebellarecords.com    www.nickmoss.com    http://blindman.15.forumer.com
http://celebrityaccess.com/members/profile.html?id=386&PHPSESSID=timfccuo6tnjhts6rto4p6pm43

 

THE KILBORN ALLEY BLUES BAND : "Tear Chicago Down" (2007 - Blue Bella Records – BBCD 1010) 

The Kilborn Alley Blues Band avait fait une entrée remarquée dans le monde discographique avec Put It In The Alley (voir chronique dans la rubrique Blindman's Blues Forum du n° 10 de Virus de Blues). Ils confirment avec ce Tear Chicago Down bien enlevé. La voix distinctive d'Andrew Duncanson et l'harmonica amplifié de Joe Asselin mènent la danse, suivis de près par les guitares du même Andrew et de Josh Stimmel, quand ce n'est pas Nick Moss, qui a produit et mixé l'album, qui vient prêter main forte. Un autre Flip Top, Gerry Hundt, amène quelques lignes d'orgue sur quatre titres, et son inséparable mandoline sur Crazier Things. Ajoutez Dave Fauble au sax et Abraham Johnson au chant sur Tear Chicago Down, et Chris Breen et Ed O'Hara respectivement à la basse et à la batterie, et vous avez là un album de pur Chicago blues… version 2007. En effet, si le groupe évolue bien entre les rails posés par les grands créateurs du style (pensez Muddy Waters, Howlin' Wolf, Willie Dixon), fougue de la jeunesse, il ne peut s'empêcher d'y apposer sa propre marque. Oh, ne cherchez pas dans les notes jouées, dans les tempos, les arrangements une quelconque différence avec ce qui se faisait il y a quarante ou cinquante ans. Non, c'est la somme des talents individuels, assemblés en une seule et même entité, qui provoque cet effet. Car, oui, le Kilborn Alley Blues Band est un vrai groupe, et c'est justement cet ensemble qui crée leur son propre. Alors oui, le Kilborn lorgne parfois du côté de la soul sudiste (Come Home Soon), il y a parfois de petits accents countrysants (Redneck In A Soul Band), le groupe se fait plaisir. Mais ça reste essentiellement un CD de Chicago blues, un style qui est la marque de fabrique du Kilborn qui lui rend justice de fort belle façon. A noter que les douze titres sont tous des originaux signés… Kilborn Alley Blues Band.
 

GERRY HUNDT : "Since Way Back" (2007 - Blue Bella Records – BBCD 1009)

Il y a eu Yank Rachell, il y a eu Johnny Young, il y a Billy Flynn, Rich Del Grosso et quelques autres, mais ce n'est malgré tout pas si souvent qu'on a l'occasion d'entendre de la mandoline blues. Gerry Hundt, par ailleurs bassiste des Flip Tops de Nick Moss, également harmoniciste, claviériste et que sais-je encore, se fend d'un album dédié à la chose, et c'est jubilatoire. L'effet "famille" du label joue ici encore à fond, puisqu'on retrouve Joh Stimmel du Killborn Alley à la guitare, Bill Lupkin à l'harmonica, Willie Oshawny au piano et Bob Carter à la batterie, tous deux également des Flip Tops, et tiens ? Nick Moss à la basse, à la guitare acoustique, qui co-produit avec Gerry. Une chose est sûre, si la mandoline est omniprésente dans cet album, le sujet reste d'abord et avant tout le blues. Celui de Chicago, bien sûr. N'empêche, ça reste fort plaisant d'entre le petit instrument mis en avant à l'occasion d'un solo par ci, par là. Non, ce n'est pas systématique, d'autres instruments, à tour de rôle, seront placés sous les spotlights, et pas dans tous les morceaux. Ce qui fait que l'album reste rafraîchissant tout du long, grâce à des sonorités variées, tout en suivant à la lettre cette même ligne de conduite : encore et toujours le Chicago Blues. Oui, bon, on s'en écarte un peu le temps d'un The Union Meetin', histoire de faire swinguer léger un instrumental, mais ce n'est que pour faire respirer un peu le tout, le credo du CD comme du label restant encore et toujours… (tous en chœur) : oui, bon, pas besoin d'un dessin, vous avez compris. N'empêche, joué et chanté avec cœur comme c'est le cas ici, ça reste une valeur sûre. Allez, on conclue sur un duo mandoline-piano avec Barrelhouse Chuck, un instrumental façon fin de journée, comme l'indique le titre : End Of The Day Blues. Et on se dit qu'on vient de passer près d'une heure en fort bonne compagnie. 
 


 

 

BILL LUPKIN & FRIENDS : "Where I Come From" (2006 - Blue Bella Records – BBCD 1006)

Le monde du blues est parfois étonnant. Comment, voilà un gaillard dont peu d'entre nous avaient entendu parler avant qu'il ne rejoigne l'écurie Blue Bella, et pourtant… Figurez-vous que ce type-là, avec Steve Lupkin, son bassiste de frère, a fait partie de l'orchestre de Jimmy Rogers, qu'il a partagé la scène avec Muddy et le Wolf, Buddy Guy, qu'il a été en studio avec Freddie King, qu'il a donné des leçons d'harmo à Mark Hummel qui signe les notes de pochette…. Joli CV pour un quasi-inconnu ! C'est d'ailleurs ce que semble dire le titre de l'album, joliment illustré par une pochette due au talent de Kate Moss : "D'où je viens". La réponse est tout simplement dans la musique. En effet, Bill Lupkin semble ne se réclamer que de son riche héritage, celui, comme tous les artistes du label, du Chicago blues. Pas question de réinventer ni la roue, ni le feu, ni l'histoire. Il n'est ici question que de porter le flambeau, et de le porter haut, comme pour dire : "Toujours vivant". Car vivant, le blues de Monsieur Lupkin l'est, ça ne fait pas le moindre doute. Que ce soit son chant, véhément, ses harmonicas, dont il joue avec autorité, ou son groupe, impeccable, tout ici vient confirmer cette affirmation de la bonne santé du Chicago blues actuel. Inutile de dire que ce CD est chaudement recommandé ?
 

 

BILL LUPKIN : "Hard Pill To Swallow" (2007 - Blue Bella Records – BBCD 1011) 

Un an plus tard, on prend les mêmes, c'est-à-dire Bill Lupkin, harmos et chant, Nick Moss, lead guitare, Tim Wire, claviers, Steve Lupkin, basse, et Mark Former, batterie, on y ajoute Gerry Hundt à la guitare sur tout l'album, lead sur quare titres, et à la mandoline sur deux, et on recommence. Cette fois-ci, l'effet de surprise est peut-être passé, mais la formidable énergie de la formation est toujours présente, et ne fera pas défaut tout au long des quatorze titres, tous de la plume du leader. Et c'est un peu plus d'une heure de pur blues électrique traditionnel dûment estampillé Chicago qui, comme il est dit dans un avertissement au dos du CD : "Peut provoquer intense joie au cœur et mouvements des jambes et des pieds" !

Cette rubrique étant consacrée aux sorties Blue Bella, on ne va pas vous faire la chronique du live auto-produit de Bill Lupkin, mais sachez cependant que Live At The Hot Spot (1999) est un enregistrement public de haute volée que l'on trouve facilement sur le Net ou sur le site de l'artiste.
 

 

NICK MOSS & THE FLIP TOPS : "Play It 'Til Tomorrow" (2007 - Blue Bella Records – BBCD 1008) 

Voici donc le sixième album de Nick Moss & the Flip Tops, et un double de surcroît ! Le plaisir de jouer des musiciens y est palpable, et c'est une joie fort communicative ! Autre plaisir, celui de constater, une fois de plus, que nos Flip Tops sont un groupe de multi-instrumentistes, jugez plutôt : Nick Moss, en plus du chant et des guitares, laisse parfois celles-ci de côté au profit de l'harmonica, remplacé alors par Eddie Taylor Jr., invité sur plusieurs titres, quand ce n'est pas par Gerry Hundt, qui joue aussi de la basse, de la mandoline et de l'harmonica, et qui chante sur I Shall Not Be Moved. Quant à Willie Oshawny, quand il ne tient pas son poste aux claviers, c'est pour jouer soit de la guitare, soit de la basse. Kate Moss elle-même s'invite tantôt à la basse, tantôt à la guitare rythmique, et Barrelhouse Chuck fait une courte apparition au piano, le temps d'un Got My Mail Today en duo avec Nick. Finalement, il n'y a que Bob Carter qui se contente de sa batterie, et encore, pas sur tous les titres. Mais quand il est là, il remplit si bien son rôle qu'on frise la perfection. Et tout ça pour nous pondre ce qui est peut-être aujourd'hui le projet le plus ambitieux du groupe, si l'on excepte leur prochain, un nouveau Live At Chan avec Lurrie Bell en invité spécial, et peut-être même Ronnie Earl, invité surprise de cette soirée. Mais revenons-en au présent album : pourquoi ambitieux ? Et bien tout simplement parce qu'il n'est pas évident, aujourd'hui, de sortir un double album de blues traditionnel. Pour ça, il faut de la matière, et ce à plusieurs niveaux. D'abord il faut que les artistes aient un sacré talent, bien sûr, mais celui des Flip Tops n'est plus à démontrer. Et puis, il faut un répertoire. De ce côté-là, aucun souci à se faire : Nick Moss sait écrire des blues, et il s'est fendu de vingt-deux titres sur les vingt-huit qui composent l'album, deux plages étant des alternate takes, les quatre restantes, des reprises bien choisies : Woman Don't Lie de Luther "Snakeboy" Johnson, Bad Avenue de Walter Williams, Rising Wind de Floyd Jones et I Shall Not Be Moved, traditionnel. Une réussite, et un beau cadeau à se faire si vous ne le possédez pas encore.
 

NICK MOSS & THE FLIP TOPS WITH SPECIAL GUEST LURRIE BELL : "Live At Chan's – Combo Platter n°2"

(2009 - Blue Bella Records – BBCD 1012)

S'il y a une bande de types qui méritent le titre de porteurs du flambeau en matière de Chicago blues, c'est bien Nick Moss & the Flip Tops. Non que ces gars-là copient servilement leurs illustres aînés note pour note, avec recherche du son d'époque à tout prix dans une attitude strictement scolaire et poussiéreuse. Non. Bien que nos bonshommes aient joué avec certaines des légendes de la Windy City, ils en ont retenu les leçons, mais leur son est bien le leur. Nick et ses compagnons en ont donné la preuve avec un nombre d'albums de plus en plus conséquent, leurs points d'orgue en étant sans doute le premier Live At Chan's et le double Play It Til Tomorrow. Jusqu'à cette nouvelle page écrite un soir de juillet 2008 dans le même restaurant chinois, Chan's, qui décidément semble leur réussir, et comment ! Il faut dire que la somme de talents regroupés au sein des Flip Tops a de quoi faire baver d'envie le plus blasé des band leaders. Et comme si ça ne suffisait pas, plusieurs membres du groupe les multiplient ces talents ! En effet, non seulement Nick lui-même est un chanteur tout à fait convaincant, doublé d'un guitariste au jeu délié tout ce qu'il y a de plus savoureux, mais il joue de plus tout à fait bien de l'harmonica, ainsi que de la basse, mais là, pas sur cet album. A la base, le bassiste des Flip Tops, c'est Gerry Hundt. Mais croyez-vous qu'il se contente de ce rôle de l'ombre ? Que nenni ! Il chante, joue de l'harmonica, de la mandoline, et même du piano à l'occasion, mais, là encore, pas sur ce CD. En même temps, quand on a Willie Oshawny au claviers – qui, accessoirement, joue aussi de la basse et chante, mais, vous l'aurez deviné, pas sur cet opus – pourquoi s'en priverait-on ? Mais au fait, qui joue de la basse quand Gerry et Nick occupent d'autres postes ? Mais c'est la belle Kate Moss, bien sûr, qui est sur cinq des dix morceaux du CD. Ah, oui, il y a aussi Bob Carter, qui, lui, se contente de jouer de la batterie. Mais il le fait si bien, on ne va pas lui en tenir rigueur. Et nos compères de nous balancer un Chicago blues à couper au couteau pendant six plages, qui s'étalent de trois minutes et des poussières à près de neuf minutes et demie. Comment ça, six plages ? Mais on n'a pas dit qu'il y en avait dix ? Ah mais oui, bien sûr, mais à partir du septième morceau, Lurrie Bell fait son apparition, et ce qui était déjà un régal tourne en apothéose ! Un chant plus assuré que jamais, presque agressif, mais dans le bon sens du terme, soutenu par un jeu de guitare où chaque note compte, lesquelles s'enfoncent dans votre être comme un Laguiole ® dans une motte de beurre frais. Quand on sait que Ronnie Earl, présent dans la salle ce soir-là, est venu jouer quelques titres, on regrette presque qu'il n'apparaisse pas sur le disque – sans doute un problème de contrat - mais à l'écoute de la galette, on se laisse emporter par messieurs Moss, Bell, et les autres, en oubliant complètement l'absence du virtuose. C'est dire le niveau ! Quand vous saurez que le design du CD est dû à madame Moss et que les notes de pochette sont de l'excellente plume de Craig Ruskey, vous ne devriez plus avoir trop de mal à prendre la bonne décision.

: René MALINES 

NDLR : d'autres albums sont parus sur le label depuis la rédaction de cette page.
 

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