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En guise d’intro On pense trop souvent en Europe que les styles musicaux africains-américains traditionnels seraient tous en train de mourir, voire morts (sauf le gospel… mais il en vient si peu de groupes authentiques chez nous !), il n’y aurait plus de relève et bientôt le blues serait blanc (USA, Europe) et asiatique, la soul aurait les yeux bleus (comme Eli "Paperboy", Simply Red et consorts), le rhythm'n'blues serait formaté et aseptisé à la Seal, Shakira et autres Lady Gaga, et l’avenir du jazz serait maintenant en Europe, en Asie et en Afrique. Pour le jazz, sa santé est florissante chez nous, tant mieux. Mais pour le blues, le rhythm'n'blues et la soul music, les "nouveaux" groupes que nous proposent les compagnies de disques (hormis donc les rééditions des années fastes) sont une sorte d’arbre cachant la forêt ; l’arbre étant tous ces groupes non africains américains dont les productions encombrent les bacs des disquaires (enfin, ceux qui restent encore en activité) et les sites internet de ventes en ligne. Mais pour peu que l’on se donne la peine de se remuer, de bouger et d’aller sur place, dans les villes US et leurs ghettos, dans les campagnes du Deep South et de la Cote Est, sur la West Coast et au Texas, partout on peut se rendre compte que si presque tous les grands créateurs de l’immédiate après guerre ont bel et bien disparus, il y a là bas une relève noire et un vivier extrêmement riche en talents aussi divers que méconnus ici, de ce côté de l’océan, tant dans le domaine du blues que du rhyth'n'blues et de la soul mais ils n’ont pas de clips vidéo passant en télévision (par contre des sites comme YouTube ou MySpace suppléent à la carence des grands medias mais il faut chercher…) ! Tous les groupes blancs de blues qui se profilent en Europe, par exemple, et qui se contentent de copier servilement leurs modèles, font de l’ombre à une nouvelle génération de créateurs africains américains qui leur sont largement supérieurs en créativité et en authenticité. Car, malgré leur Président noir, la vie de nombre d’africains- américains est toujours difficile, le chômage est endémique, le logement décent et l’éducation sont encore réservés à une élite, le racisme est toujours omniprésent, du nord au sud, bref une partie non négligeable des conditions d’émergence du blues et styles associés sont toujours d’actualité, malgré Barack Obama aux commandes. En outre, de nombreux créateurs du blues post 1945 sont encore fidèles au poste, il ne faudrait pas les enterrer trop vite, mais on ne les promotionne pas comme ils devraient l’être, ils tournent peu ou pas du tout et il faut aller les écouter chez eux, sur leur propre terrain. Rien que le festival de blues de Chicago, annuel – et gratuit – en apporte une preuve éclatante pendant les trois jours où il se déroule dans Grant Park, en plein downtown, avec tout ce qui passe en clubs et en salles dans les jours qui précèdent puis dans les jours qui suivent et dans les nombreux clubs de blues du centre, du South side et du West side, dès 22-23h00, tous les jours (le festival fermant ses portes avant 22h00).
Cette année, le festival se voulait un hommage à Howlin' Wolf (Chester Burnett) pour le centenaire de sa naissance. Il y eut donc plusieurs forums placés sous la houlette de Dick Shurman où les proches du Loup Hurlant (ses deux filles, Bettye Kelly et Barbara Marks) et ses anciens partenaires qui ont évoqué la vie de ce musicien hors normes et légendaire ; avec les péripéties qui ont entouré sa carrière musicale, ses manies, voire ses travers mais aussi sa grande conscience professionnelle et ses talents d’harmoniciste et de guitariste mais surtout de chanteur. Des piliers de son blues band ont ainsi témoigné, Jody Williams (gt), Henry Gray (p), Sam Lay (drums), Eddie Shaw (saxophone) et Hubert Sumlin, le génial guitariste qui a contribué d’une manière éclatante au " son " Howlin' Wolf, qui était un peu son fils adoptif et qui a inspiré des centaines de guitaristes blancs du rock et du hard rock en particulier. Chaque forum fut suivi par un public étoffé d’où les questions ont fusé. En prélude au festival, de nombreux clubs du centre mais aussi ceux des quartiers sud et ouest ont ouvert leurs scènes aux bluesmen locaux et aux artistes visiteurs. Dès le début du mois de juin, un des shows les plus mémorables s’est déroulé au " new " Buddy Guy’s Legends, LE club de Chicago en plein centre, sur Wabash Street (un block plus au sud que le précédent) avec une affiche alléchante, mêlant des musiciens invités dans le festival (Otis Taylor, Nellie Tiger Travis, Billy Branch, Carlos Johnson…) et d’autres qui auraient du y figurer (Otis Clay, les frères Brooks avec leur père Lonnie, Buddy Guy lui-même…) ; il y eut aussi un symposium à la Dominican University et un concert de Smiley Tillmon, un revenant dont on reparlera, au The Club Zone sur Western Avenue.
Dès le
vendredi 11 juin, à partir de 11h30, le dilemme angoissant commençait à se
poser : à quelle scène ou à quel podium aller, quel artiste ou groupe
fallait-il aller écouter en priorité ? Il y a en effet deux scènes
principales (Gibson Guitar Crossroads et le Petrillo Music Shell), trois
scènes un peu plus petites (Front Porch, Zone Perfect Route 66 Roadhouse et
Mississippi Jook Joint) et une bonne demi douzaine de petits lieux dont les
programmations sont aléatoires, sauf au WCBS Street Stage de la Windy City
Blues Society où l’affiche est toujours de qualité… Le choix est très
difficile même en courant d’un lieu à l’autre et en n’y passant que quinze à
vingt minutes, sauf concert exceptionnel.
Le
dimanche Guitar Shorty fut la principale attraction de Front Porch tandis
que le Gibson Gt Crossroads attirait la grande foule avec du blues : Quintus
McCormick suivi d’un duo de guitaristes de choc : Carl Weathersby et Larry
McCray et ensuite avec de la soul music haut de gamme distillée par Roy
Roberts et Barbara Carr.
Hors
festival, en soirée, on n’en finirait pas d’énumérer tous les concerts qui
se sont déroulés dans la ville et dans les environs, on se contentera de
mentionner la soirée spéciale du Reggie’s le samedi soir où se sont produits
Bobby Parker, Jimmy Dawkins, Rocking Johnny, Ardella Williams, Smiley
Tillmon, Charles Hayes, Cadillac Zack, et d’autres encore.
On se
prend à rêver d’un festival comme celui-là en Europe et surtout d’une
affiche comme celle-ci. Mais, si on veut vivre cette expérience unique,
c’est plus simple de casser sa tirelire et de se dire : "Chicago here I
come"... Rendez-vous en juin 2011.
: Robert SACRE
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