CHICAGO, CAPITALE MONDIALE DE LA MUSIQUE GOSPEL ET DU BLUES


Plantons le décor :

Il n’y a aucun doute, aucun autre festival dans le monde ne présente, chaque année, autant d’artistes de la scène gospel en deux jours (samedi et dimanche, le premier week-end de juin, de midi à 22h00) et d’artistes et groupes de blues en trois jours (vendredi, samedi et dimanche, deuxième week-end de juin, de 12h00 à 22h00). Il faut y ajouter les séances pré-festival tant en blues que gospel plus tout ce qui se passe en clubs et en salles de concerts tous les jours de 23h00 jusqu’au petit jour suivant.

Partout ailleurs dans le monde, on peut assister à des festivals mixtes où jazz, blues, soul music, rock et, parfois, gospel (Montreux, Cognac…) se côtoient, mais ce qui se passe à Chicago chaque année est exceptionnel. En plus c’est un festival gratuit, sponsorisé par la ville, et le succès de foule est au rendez vous. On s’y presse, on ne compte pas les échoppes à souvenirs, les endroits où se restaurer et les débits de boisson dispersés entre les diverses scènes sur toute la surface de grands parcs en plein centre ville (le Parc Millenium pour le gospel et le Parc Grant, voisin, pour le blues).

26e Annual Gospel Music Festival (5 et 6 juin 2010)

En fait le coup d’envoi du festival a été donné le vendredi 4 juin au CHRIST UNIVERSAL TEMPLE (11901 S. Ashland Ave) avec une cérémonie d’hommage aux  « Living Chicago Gospel Legends » et aux artistes récemment disparus (comme Eugene Smith, Ethel Holloway, Charles G. Hayes…). Tous  ont été intronisés dans « The Gospel According To Chicago Home Of Living Legends ». C’est un who’s who du  gospel à Chicago qui défila sur scène avec les trois sœurs Barrett  (Delois - en chaise roulante -, Billie Greenbay et Rodessa Porter), Albertina Walker, Clay Evans, Jessy Dixon, Maceo Woods,  Inez Andrews, Vernon Oliver Price et bien d’autres encore, comme Edwin Hawkins, venu exprès de Californie pour l’événement ; avec, entre les présentations des récipiendaires, des prestations de chorales et de groupes très populaires actuellement comme J.J.Hairston & Youthful Praise, le GMAC Mass Choir, The Evangel Celebration Choir, etc.

Un hommage particulier a été rendu aux trois églises qui ont joué un rôle capital sur le plan historique dans le développement de la musique gospel à Chicago et qui ont abrité toutes les célébrités de ce genre musical : la FIRST CHURCH OF DELIVERANCE  (Rev. C.H. Cobbs, Ralph Goodpasteur…), EBENEZER BAPTIST CHURCH (Thomas Dorsey, Roberta Martin, Eugene Smith, Sallie Martin, Robert Anderson, Norsalus McKissick…) et la PILGRIM BAPTIST CHURCH (Thomas Dorsey, Mahalia Jackson, Sam Cooke, James Cleveland, Staple Singers, Edwin Hawkins Singers.). Cette dernière est partie en fumée récemment et sa reconstruction est programmée. 


            
                                                    Albertina Walker (c) Robert Sacré


Samedi  5 juin

C’est le parc Millenium en plein centre ville qui sert de cadre au festival de gospel. De 12h00 à 16h00, deux podiums assez éloignés l’un de l’autre pour éviter toutes interférences accueillent l’un (le Walgreens Day Stage) cinq groupes plus ou moins confirmés qui se succèdent d’heure en heure et se défoncent à fond pour grossir le nombre de leurs fans. Cette année la palme revenait à Slayton Palms & Little Mount Of Love, aux Brown Brothers et à Kenny Lewis & One Voice avec, en guest, J.J. Hairston (vu la veille) ; le second podium, comme son nom l’indique (Inspiration Youth Stage), présente des amateurs soucieux de passer pro en séduisant un des producteurs présents. Quelques groupes s’en sortaient très bien, comme le St. James Ministries Youth Choir et les Turner Sisters.

Dès 16h00 les choses sérieuses commencent sur la très grande scène du Jay Pritzker Pavillion où ne passent que des groupes au talent confirmé et très populaires. C’est du gospel contemporain avec tous les défauts dont on a déjà discuté dans ce magazine mais il faut reconnaître qu’en « live », cela passe on ne peut mieux et que c’est quand même du bel ouvrage. La mise en scène est soignée, la qualité des chanteurs, des chorales, leur occupation de la scène et leurs pas de danse. Bref, l’effet visuel fait toute la différence avec les disques. Des gens comme Ricky Dillard & New G., Bishop Darrell Mc Fadden & The Disciples, Kathy Taylor, Byron Cage W. Mark Hubbard & The Voices, Hezekiah Walker & Love Fellowhip Choir ont gagné un nouveau fan. Moi !


              
                                                     Inez Andrews (c) Robert Sacré


Dimanche 6 juin

Sur le même schéma que la veille, on pouvait apprécier entre autres, entre 12h00 et 16h00, les Chicago Travelers, The Chosen Ones et Malcolm Williams & Great Faith .  

Mais, quand on est amateur de gospel et dans une ville comme Chicago (ou New Orleans, Clarksdale, Memphis...) et autres zones où la communauté africaine-américaine est dense, il se doit de commencer la journée par un service matinal (7h00) dans une église noire où les visages pales sont rares mais où la musique est de premier ordre. A Chicago on n’a que l’embarras du choix. Le mien s’est porté sur la Church Of God (46th st. et 4601 S.Drexel Bvd), l’église de Jason Rosenberg (pasteur blanc dans une église noire du South Side) où se produisaient les Evening Light Brothers, un groupe traditionnel a capella d’un allant et d’une ferveur sans pareils - leurs deux CDs gravés à ce jour sont des musts et peuvent être obtenus via Jason Rosenberg qui non content d’officier comme pasteur à la Church Of God of Chicago  est aussi un collectionneur boulimique des singles et LPs rares jamais réédités et parfois inconnus des discographes comme R. Laughton et Cedric Hayes, disques pour lesquels,  sur eBay et autres sites de vente,  il débourse des centaines de dollars (voire des milliers) pour avoir le plus rare des plus rares. Ensuite il fait des compilations irrésistibles qu’il vend via son site  (www.raregospel.com) puis il revend les originaux sur eBay afin de comprimer ses investissements (mais même ainsi il y met beaucoup de sa poche). Son site est une caverne d’Ali Baba pour les collectionneurs avertis.

Revenons au festival de gospel. C’est au Jay Pritzker Pavillion que se déroula l’événement phare du jour. Un concert du groupe féminin le plus prestigieux qui  soit, créé dans les années cinquante par Albertina Walker à Chicago, les célèbres CARAVANS. Etaient réunies pour la circonstance quatre des plus illustres chanteuses du groupe mythique : Albertina Walker, Dorothy Norwood, Delores Washington et Inez Andrews. A part Walker (en chaise roulante désormais) les trois autres chanteuses, d’un âge pourtant respectable, ont parcouru la scène de long en large, sauté, crié, chanté divinement et donné un spectacle haut en couleurs et intense, déchaînant l’enthousiasme des spectateurs qui hurlaient leur joie et leur communion.


            
                               Delores Washington & Dorothy Norwood (c) Robert Sacré


Il est d’ailleurs frappant pour un européen de constater que non seulement des milliers d’africain- américains sont là, dont beaucoup de jeunes, voire très jeunes (avec une large minorité de visages-pales), et qu’ils adoptent le même comportement que dans leurs églises : standing ovations, bras levés, cris de joie, et, pour nous, le plus étonnant, quel que soit le chanteur/-euse/groupe/chorale… cette foule reprend en chœur les refrains et bon nombre de ces gens chantent avec ferveur aussi les couplets connus par cœur ! C’est sidérant et émouvant.

Dur dur après une telle prestation de s’imposer mais l’Evangel Celebration Choir (déjà  vu le vendredi) fut une parfaite introduction pour deux autres pionniers de la musique gospel, peu connues en Europe, mais au palmarès éloquent : Elsa Harris (beaucoup  d’activités au sein d’églises, ex- Thompson Community Singers et Jessy Dixon Singers) et Paulette Bush (First House Of Prayer, Chicago State University Choir - directrice de chorales et de chœurs et... officier de police retraité) ; et la soirée se termina en beauté avec des superstars du gospel contemporain, très convaincants en live : Richard Smallwood & Vision et Fred Hammond qui provoquèrent quelques scènes d’hystérie auprès d’un parterre de jeunes filles qui leur vouent manifestement une admiration sans bornes et plus que cela (les groupies ce n’est pas que dans la musique rock !) ! Un peu de pluie en fin de festival a rafraichi l’atmosphère torride et n’a pas diminué d’un fifrelin la joie communicative des spectateurs.


            
                                        Fred Hammond & his guitarist (c) Robert Sacré
 

Chapeau à la ville de Chicago, aux organisateurs, aux sponsors… et au public qui ont fait de cet événement un spectacle sans fausse note.

En Europe, les défenseurs du gospel sont encore rares. A Chicago ils sont de plus en plus nombreux et actifs. Comme Rob SEVIER qui réédite la musique des années soixante-dix, entre autres du gospel, pour le groupe NUMERO (www.numerogroup.com) et Bob MAROVICH, un historien du gospel, dont le site www.gospelmemories.com et le blog www.theblackgospelblog.com contiennent une foule d’informations de premier ordre sur le gospel traditionnel. Bob anime tous les samedis, de 10h00 à 11h00, un programme sur 88.7 WLUW Chicago que l’on peut suivre ou écouter sur www.wluw.org.

Goodbye Chicago… à très vite !

: ROBERT SACRÉ
 


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