JOLLY JUMPER & BIG MOE : Rooster Soup > Ruf Records 1098 - (Distribution Mosaic Music)
Jolly
Jumper et Big Moe : deux norvégiens qui font déjà partie des vieux routiers du
blues acoustique guitares/harmo : familiers des festivals d'Europe du Nord, ils
demeurent moins connus sous nos latitudes.
Leur deuxième CD chez Ruf
est propre comme la calotte glacière ; swinguant, bien joué mais chanté sans
grâce, soutenu par une petite section rythmique, Rooster Soup fait la
part belle aux adaptations prewar blues et old time. Il y ajoute quatre
originaux sympas et emprunte au contemporain Alvin Youngblood Hart, son "Big
Mama's Door". C'est peut-être dans les titres les moins purement blues que le
duo se montre le plus convaincant ("How Can A Poor Man stand Such Times And
Live..." livré d'une belle voix d'ours). Gageons que la doublette gagne
certainement a être consommée live.
HARP SLIDERS : Solid Jive > Blues Box BB 002
Dans un registre voisin,
le CD des nordistes Harp Sliders passe beaucoup mieux la rampe. Là encore des
emprunts recherchés au blues / gospel d'avant guerre ("God Don't Ever Change")
et au cœur de l'album, comme pour aérer l'ensemble une belle reprise de
"Trouble" caution folk et titre fétiche de Calvin Russell. Manu Slide et ses
acolytes gagnent le pari de traduire "Solid Jive" de Curtis Jones en "Sacré
Baratin".
On entend de belles
parties de guitare, des contre-chants relax de mandoline et Dobro, un bon
chanteur, des arrangements plaisants, parfois un côté décalé plutôt bienvenu.
Que les Harp Sliders soient rassurés : leur blues n'a rien de vieillot.
MARVELLOUS PIG NOISE : Live au Sax'... > MPN007 - (Distribution Mosaic Music)
Horizons du blues élargis
: c'est encore le cas chez les Marvellous Pig Noise. Live au Sax de
Montpellier au printemps 2004, le quatuor renforcé par un clavier navigue entre
gospel (surtout), blues, touches de rock sudiste voir psychédélique light.
Pierre Citerne a de petits airs de Jorma Kaukonen et excelle au chant dans tous
ces registres.
Les Marvellous savent
faire monter la tension churchy puis revenir à des instants de sérénité, à la
manière des grands groupes californiens des seventies ("Mother Earth").
On se perd parfois dans
les titres à rallonge, mais le groupe y dégage un petit côté show biz à même de
plaire à un public bien plus large que les vieux teigneux des douze mesures.
BULLDOG GRAVY : Big Bad Blues > BDG 001/1 - (Distribution Mosaic Music)
Pas ordinaire : des bluesmen de la Côte d'Azur : Bulldog Gravy a débarqué au beau milieu de l'année 2004. Loin du farniente attendu leur Big Bad Blues nous transporte plutôt du côté de Brownsville, Tennessee, avec de fortes réminiscences de Sleepy John Estes, diverties par l'apport inattendu d'une kyrielle d'instruments et de sons artisanaux, ferrugineux, bizarres, venus des cimetières de bagnoles, du Tibet, ou de chez le quincaillier du coin. Le tout en complément des guitares, Dobros, harmo, donne aux reprises et aux originaux du guitariste Mike Greene un côté brinquebalant et profond à la fois.
THE UGLY BUGGY BOYS : Yoddle Hey Hee Hoo > Magdet Records 6421-12
Péquenots de tous pays unissez vous ! La prestation des Ugly Buggy Boys à Cognac l'été dernier m'avait laissé de glace (t'aurais mieux fait de la mettre dans le Tonic, ça t'aurait rafraîchi les idées). Peut-être à cause de la référence un peu trop évidente aux trois fugitifs de "O Brother", aussi sympa soit-elle. Plus certainement parce que le look étudié d'âne bâté et le country cartoon parodique de nos amis belges me passe complètement au dessus de la tête. Le disque, sans prétention, n'arrange pas mon cas. Le comique paysan a de beaux jours derrière lui.
THE ELMORE D BAND : The Elmore D Band - Live > Pacific Blues PBCD2401
Dernières nouvelles
d'outre Quiévrain le disque live du Elmore D. Band. Personnage bien connu
désormais des scènes européennes, Elmore donne un panorama de cinq années de
concerts à travers le vieux continent. Dans un coin de la jaquette, Sonny Boy,
l'homme au chapeau melon veille sur Elmore, l'homme à la casquette.
Les adaptations de
country blues tantôt connues, tantôt plus érudites contaminent jusqu'au "Road
Runner" de Bo Diddley, traité selon la recette maison, à la mandoline et aux
guitares sans fourrure. Big Dave est à l'harmo, le band avec Lazy Horse, Willie
Maze ou Gerry Fiévé chauffe comme il faut : bip bip le bonheur frappe à la porte
: il entre lorsque Elmore de cette voix unique chante en wallon.
STINKY LOU & THE GOON MAT feat. LORD BERNARDO ! : Original Demo # 2
Stinky
Lou & The Goon Mat nous replongent dans une ambiance Juke Joint plus
traditionnelle comme saisie sur le vif devant la scène, micro à la boutonnière,
en prenant soin que les danseurs autour ne te filent pas un moulinet dans le
plastron ou une pinte de bière sur la liquette.
The
Goon Mat dans le rôle d'homme orchestre, Stinky Lou au washtub et Lord Bernardo
à l'harmo livrent un six titres énigmatique et downhome sur un tempo régulier,
où les originaux de Mathias Dalle viennent se fondre dans le défilé lancinant
des emprunts à Burnside et Jimmy Reed.
BIG DAVE : Tellin' You > Naked Productions NP003 - (Distribution Mosaic Music)
Avec Big Dave on reste dans le plat pays qui est aussi le nôtre (les Landes) et l'on repasse la mince frontière vers l'Ancienne Belgique et cette figure emblématique des mythiques Electric Kings, que malheureusement beaucoup ont du rater de par chez nous. A la manière de l'autre ex roi électrique Tee, qui tient ici la guitare et les manettes, l'harmoniciste Big Dave Reniers est capable de livrer des copies conformes de blues créés par des figures de légende des années 40/50 ou de balancer des originaux plus vrais que nature. On pense soudain à ces folles tentations seventies signées Todd Rundgren ou Dave Edmunds de livrer des fac similés de chansons des Beatles ou du Presley période Sun à s'y damner l'oreille. Malins, les compères ne sonnent pas pour autant passéistes et l'ensemble, sobre et chaleureux ne demande qu'à être bissé.
NAPOLEON WASHINGTON : Hotel Bravo > Sepia 002-2 - (Distribution Mosaic Music)
Deux films historiques
ont fait la une début 2005 : l'un sur Alexandre le Grand, l'autre sur Adolf
Hitler. Napoleon Washington fait plus court et réunit sur son seul patronyme
deux autres tartarins de la grande histoire.
Pourtant, sur le disque,
c'est juste la petite "story of the blues" qui défile, celle pour
laquelle il nous arrive fréquemment d'oublier tout le reste...
Loin d'asservir la
planète, ce Napo sans bicorne hante le canton de Neuchâtel, entre Le Locle et La
Chaux de Fonds. Là où le sol est marbré de chocolat et les longues nuits
réchauffées de caramels mous. Sans une reprise du "Big Mama's Door" d'Alvin
Youngblood Hart (encore ! Déjà un standard contemporain ?), Napo passerait pour
peu démocrate. Il a écrit l'album tout seul. Dès la première écoute, plus qu'à
des George, on pense à des John : Campbell ou Trudell et pour la rime à un
Calvin Russell. Ce personnage énigmatique est-il un abîmé de la vie ou un
despote éclairé et arty ? Une chose est sûre : sa Joséphine ne doit pas rigoler
tous les jours car l'album autant que le livret, est sombre, habité, prenant,
mystérieux. Le Dobro brille, résonne et se déchire comme le papier argenté des
tablettes de Milka.
La voix racle(tte, oui je
sais, c'est facile) les chœurs diabolisent, le petit orchestre prend le large,
mais qui donc a laissé Satan passer la frontière suisse ?
THE HONEYMEN : Juke Joint Special > HON-002 - (Distribution Avel Ouest)
Drôles de zèbres ces
Honeymen... Ils reviennent fourbus mais vivants d'une descente (de lit) dans la
jungle, terrible jungle. Du coup ils ont tapissé
tout leur mobilier façon Savane de Brossard. Partis chez Mowgli avec juste
quelques rations de Lightnin' Slim, Howlin' Wolf, Guitar Slim, Juke Boy Bonner,
un harmo et une guitare, les frères Jazz ont trouvé sur place de quoi nourrir
leur blues. Des congas, djembés, bongos, calebasses, dunumbas et autres
gris-gris pas bons pour le péritoine. L'expédition d'avant a fini dans la
marmite. Elle a gentiment laissé en route un vieux frigo (au dos de la jaquette)
dans lequel les Mielleux ont conservé le savant dosage à l'abri des bactéries.
Jusqu'au retour en Bretagne. Et le cocktail est là. Il n'est pas sauvage, mais
hypnotique, fiévreux. Avec un goût de revenez-y qui fait bizarre dans les
boyaux.
Transfuges de Doo The Doo
comme ils se définissent eux-mêmes, les Honeymen doivent être familiers aux
lecteurs de cette revue. Leur CD Juke Joint Special fait la part belle à
ces reprises de swamp blues à la sauce percus et les trois originaux qui restent
bien sûr dans le ton. La musique aimerait bien se pavaner de liane en liane,
telle Jane la Tarzane, mais elle reste sagement près du biotope, des fois qu'on
entendrait des pas dans la nuit...
JOHAN ASHERTON : Amber Songs > Willing Productions 350242 - (Distribution Mosaic Music)
Dans une vie antérieure, Johan Asherton fut le
chanteur des Froggies, un groupe de rock français qui commit deux bons albums de
rock tendance garage Groovies dans les années 80. Puis vint l'heure de la
carrière solo. On put apprécier ses talents de songwriter lors d'un premier opus
en 89. Passé ce point je perdis le fil d'une carrière qui se poursuivit dans la
discrétion avec d'autres productions, toujours animées de la même intention :
prouver que l'on peut être frenchie et tâter du songwriting intimiste à
l'anglaise ou à l'américaine. A cet égard, Johan Asherton est peut être un cas
unique dans notre paysage musical… ce qui limite sans doute aussi son audience
par chez nous.
Amber Songs
révèle une belle voix profonde, des effluves de
légende anglo-saxonne, des paysages nus et lyriques, des compositions élégantes
et lisses, prises individuellement, dont le seul défaut est peut-être de dégager
une impression d'uniformité mises bout à bout sur un album. Johan Asherton y
entoure sa guitare acoustique d'instruments familiers du folk song (mandoline,
lap steel guitar, accordéon, violon, banjo, Dobro) qui donne à l'ensemble un
côté paisible et hors du temps.
SUE FOLEY : Change > Ruf Records 1096 - (Distribution Mosaic Music)
Allez ! Débranche un peu
la sono, pose toi sur le sofa et écoute donc ça…
Voilà que la canadienne
Sue Foley d'ordinaire plutôt versée dans l'électricité fait des infidélités au
compteur et nous la joue ici unplegged. Factures impayées ? Envie de goûter une
part du gâteau dont se repaissent quelques consœurs jazzy dans les charts du
monde entier ? Besoin sincère d'un retour vers les racines ? Who knows ? Se
demanderait un Jimi Hendrix consterné.
Face au public poli du
Hugh's Room, la blonde de Toronto essaie de s'improviser goualante de country
beuglant sur "Careless Love" ou ses emprunts à Bessie Smith et Memphis Minnie.
Mais l'exercice tombe vite à plat : trop de gros son acoustique, propre et
lisse, de vibrato blanquichote systématique à la fin de chaque phrase.
Soutenue par un petit
ensemble, piano, basse, batterie, Sue, c'est normal, semble plus concernée sur
les titres solo dus à sa propre plume ("Change", "Mournin' In The Morning") mais
le disque laisse la pâle impression que la chanteuse tente de surnager au dessus
de l'ensemble plutôt que de nous y faire pénétrer.
BOBBY RUSH : FolkFunk > Ruf Records 1099 - (Distribution Mosaic Music)
Sans doute pour la première fois en cinquante
ans de carrière Bobby Rush a conçu un disque pour une clientèle plus large que
les habitués du "chitlin circuit".
Onze titres où le Bob
plonge au plus profond de son art. Pas ici de textes salaces ou de poses
aguichantes, Mr. Rush colle sa voix inimitable et son harmonica sur une
rythmique essentielle où excellent Alvin Youngblood Hart (guitare), Steve
Johnson (basse) et Charlie Jenkins (batterie).
Boogies endiablés, funks sensuels au parfum drum'n'bass, blues lents,
adaptations, tout est ici marqué du saut de la grande classe et le disque d'une
belle unité est une formidable invitation à aller plus avant dans la carrière du
créateur de "Chicken Heads", si émouvant dans le film "La Route de Memphis".
Même l'emballage est un peu déroutant avec ses
dessins mi trash-mi naïfs qu'on croirait empruntés à quelques fous du folk genre
Holy Modal Rounders ou Michael Hurley. A saisir sans hésiter tant qu'un Bobby
Rush est disponible chez nous.
EDDIE BOYD :
Five Long Years. The Complete Recordings Volume 2 -
1951/1953
>
EPM Blues Collection 160562
Deuxième volume très
attendu des premières aventures de Eddie Boyd, pianiste et chanteur de Chicago
aux textes sombres et aux mélodies embrumées, installé en Europe à la fin des
années soixante. Ceux qui ont surtout connu l'homme dans sa deuxième vie
scandinave trouveront ici le chaînon manquant parfait et le complément idéal
d'un premier disque sorti il y a quelques années.
La qualité musicale de
cet album est encore supérieure à celle de son prédécesseur qui couvrait la fin
des années quarante, lorsque Eddie Boyd intégra le label RCA Victor, au
crépuscule stylistique du fameux Bluebird Sound.
Toute empreinte de swing
et de retenue, la musique est à contre courant de l'électrification qui guette
alors le Chicago blues et surtout Eddie Boyd se révèle un parolier émouvant et
fécond dont nombre de chansons furent de grand succès.
De la quantité de chef
d'œuvre enfin regroupés ici, après des décennies de dispersion, on détachera
bien sûr les versions originales de "Five Long Years", "24 Hours", "Third Degree"
des titres maintes fois repris et dans lesquels on ne peut pourtant plonger à la
légère, tant la noirceur qu'ils expriment est intense.
Les contre-chants de sax,
de piano, de guitare soulignent cette construction toujours reconnaissable des
blues d'Eddie Boyd où la voix prend un départ imposant avant de se résigner au
murmure et à la chute. Une "patte" qui évoluera peu dans les décennies à venir
et que n'oseront surtout pas bousculer des sidemen aussi réputés que Peter Green
ou Buddy Guy.
: Dominique Lagarde