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Virus

de Zydeco

 

Zydeco ? Qu'es-acco ? Dans le dernier numéro de Virus de Blues, nous inaugurions cette nouvelle rubrique consacrée au zydeco avec une interview de Corey "Lil' Pop" Ledet et la chronique de l'excellent DVD Louisiana Blues. Mais avant de poursuivre, ne serait-il pas opportun de préciser d'abord de quoi il s'agit exactement ? C'est vrai, à la fin, c'est quoi ce truc, le zydeco ?

 

Tout d'abord, avant de dire ce que c'est, il paraît important d'éclaircir un point apparemment confus pour pas mal de monde, y compris parmi les amateurs chevronnés de musiques américaines, en disant ce que ce n'est pas : le zydeco n'est pas de la musique Cajun.
Comme toute musique afro-américaine, le zydeco est avant tout la musique d'une communauté, les Créoles de Louisiane, comme ils aiment à se nommer eux-mêmes. Autrement dit, les noirs.
Les blancs, ou Cajuns (déformation du mot Acadiens), jouent la musique cajun, à laquelle ils n'ont pas pris la peine de donner d'autre nom que celui de leur propre communauté, si ce n'est parfois musique du vieux temps.

Bien sûr il y a des points communs, des passerelles entre les deux styles, et ce à plusieurs niveaux : instruments, répertoire, et même les artistes eux-mêmes, car des noirs jouent de la musique cajun depuis belle lurette, aujourd'hui de plus en plus de blancs jouent du zydeco.

Bon, d'accord, mais pas évident de faire la différence pour l'oreille non avertie, direz-vous ? Mmmh, pas si sûr.

Mais commençons par le commencement. Alors, il était une fois une colonie française appelée Canada. Les colons français y étaient principalement implantés dans la province du Québec, en pleine Acadie, fortement convoitée par l'ennemi héréditaire : les Anglais. Lesquels envoyèrent leur armée massacrer les Français, pour adresser un ultimatum aux survivants : tu te casses ou tu crèves (ou quelque chose d'approchant). Il s'en est suivi un exode que les Acadiens appellent le Grand Dérangement (1755).

Il était une autre fois une autre colonie française appelée Louisiane, en l'honneur du roi Louis dont j'ai oublié le numéro (ça change tout le temps !), Reportez-vous à vos livres d'histoire ou à ceux de vos enfants pour plus ample informé. Colonie cédée aux Américains en 1803 pour une poignée de dollars (il paraît que Sergio Leone aurait fait un film là-dessus) mais ça, c'est une autre histoire. Parmi nos survivants d'Acadie, certains sont définitivement rentrés en France, d'autres se sont tout naturellement dirigés vers cette terre sœur où ils furent accueillis à bras ouverts (en réalité, ils se heurtent aux Français fort urbains du lieu, bien éduqués jusqu'à ce qu'on leur foutent des péquenots, immigrés de surcroît dans les pattes. Ça n'a pas beaucoup changé depuis), d'autres encore y sont venus plus tard, après avoir d'abord fui vers la France. Alors ils s'installent dans les marais, au nord de la Nouvelle Orleans, avec les Indiens, les alligators et les poissons-chats. Vivant en autarcie, ils conservent leur langue, leurs traditions, leur religion (catholique) et crée une nouvelle gastronomie (puisqu'on vous dit qu'ils sont Français !) à partir des produit locaux : à peu près tout ce qui vit dans l'eau. Et tous ces Acadiens sont devenus des Cajuns par contraction et prononciation américaine, vu que, comme on l'a vu plus haut, ces Français-là sont devenus Américains du jour au lendemain et qu'on a longtemps tenté de leur faire oublier leur langue maternelle. Mais ça, c'est plus récent, ça date des années trente. En effet, la découverte de pétrole en Louisiane ramène tout une faune d'Américains de tout poil âpres au gain, et ce nouvel essors économique profitera à l'Amérique, certes, mais se révèlera désastreux pour nos Cajuns. Un président Roosevelt par là-dessus qui vous balance, dans le cadre de son new deal, "une langue pour une nation" et c'est le bouquet.

Ouais mais alors, des Français noirs à l'époque, devaient pas y en avoir des masses, diront les plus futés d'entre vous ? Ben non, mais oui. Des Français noirs, effectivement… Mais des noirs pas spécialement Français, alors là oui, et pas qu'un peu. Esclaves, esclaves affranchis, directement importés d'Afrique ou venus des états voisins, voire des îles. Le fait est que ces Créoles-là se sont attachés à la culture française dominante jusqu'à la revendiquer aujourd'hui comme leur héritage, au même titre que les Cajuns. Et eux n'étaient pas tenus de fréquenter l'école où il était interdit de parler français.

Mais nous sommes quand même en Amérique : après l'esclavage, après l'abolition des lois ségrégationnismes, on se mélange pas trop quand même, faudrait pas exagérer non plus. Quoique… on s'y mélange sans doute plus qu'ailleurs. Blanc, noirs, indiens, et plus si affinités. Mais c'est le fait d'individus, les deux principales communautés, blancs et noirs, restant bien distinctes, même si elles se côtoient, particulièrement dans les villes.

On a donc des Créoles (noirs) et des Cajuns (blancs). Ce qui n'empêchera pas un Kenny Neal d'affirmer qu'il est bien difficile de savoir de quelle couleur il est, "On est tellement mélangés en Louisiane".

Les Cajuns ont ramené leur culture avec eux, dont leur musique, principalement de vieux airs français. Les Créoles n'ont rien ramené du tout, vu qu'on les en a empêchés pendant suffisamment longtemps pour qu'ils oublient leurs propres formes d'arts africains. Et donc, quand des Créoles faisaient de la musique, ils faisaient du cajun. Mais pas que. Eh non. Parce que toute communauté finit toujours par développer ses propres formes d'expression, nos Créoles vont créer les jurés (chants à cappella assez rythmés dans lesquels il ne serait pas complètement idiot de voir des traces africaines, comme quoi la mémoire d'un peuple, c'est parfois plus balèze que toutes les interdictions et autres programmes officiels), puis la musique "la la". Inspirée des jurés, elle se chante accompagnée d'un ou deux instruments, généralement l'accordéon et un instrument rythmique, principalement la planche à laver (washboard en anglais), et plus tard le frottoir (ou "frattoir" pour cause de prononciation, rubboard en anglais), deux instruments distincts, (encore une confusion répandue), bien que le frottoir soit une évolution de la planche à laver due à l'accordéoniste Clifton Chenier, à l'intention de son frère Cleveland, frotteur dans leur groupe The Red Hot Louisiana Band. Groupe d'ailleurs repris par CJ Chenier à la mort de son père Clifton. Et pour clarifier une autre erreur communément répandue, CJ ne signifie pas Clifton Junior mais Clayton Joseph.

Bon d'accord, mais le Zydeco, là-dedans, bon sang de bonsoir ? On y vient, pas la peine de brailler (brailler ou cryer - prononcer crailler - pleurer, crier, terme franglais fort usité en zydeco).

Mais avant, il faut savoir que si le violon fut longtemps l'instrument roi chez les Cajuns comme chez les Créoles, il fut très tôt concurrencé par l'accordéon (cf. Amédée Ardoin, Créole très populaire dans les deux communautés jusqu'à son assassinat par une bande de racistes qui lui reprochaient d'avoir accepté le mouchoir que lui tendait une femme blanche pour essuyer sa sueur lors d'un bal. Drame inimaginable aujourd'hui, sauf peut-être dans le Sud des Etats Unis, et en remontant jusqu'à Washington, la capitale, où siège un certain président tout aussi raciste et dangereux que les pires dictateurs du vingtième siècle, ne vous y trompez pas) jusqu'à disparaître presque complètement de la scène zydeco (il est resté populaire chez les Cajuns) jusqu'à son retour ces toutes dernières années. Toujours est-il que violon ou pas, il est aujourd'hui quasiment impossible d'envisager un groupe de zydeco sans accordéon et frottoir, ces deux instruments étant LES symboles du genre.

Ceci posé, comment le zydeco est-il devenu le zydeco ? Pour simplifier, on dira que les Créoles ont pris la musique cajun, la musique lala, et ils en ont fait un gumbo dans lequel ils ont ajouté des éléments d'autres musiques afro-américaines, tels le blues (Clifton Chenier), la soul (Buckwheat Zydeco), mais aussi des styles très ruraux (Boozoo Chavis) avec pour point commun une haute valeur dansante ajoutée, alors que les Cajuns, de leur côté, intégraient plutôt des formes country & western à leur musique.

Plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, Beau Jocque prendra le style de Boozoo pour y incorporer des éléments de funk à la James Brown, voire de rap, développant un zydeco d'une incroyable pulsion rythmique, d'une puissance à l'image de son créateur, un beau bébé de près de deux mètres pour au moins cent-trente kilos si ce n'est plus. Son approche ouvrira la porte au Nouveau Zydeco (ou Zydeco Nouveau, c'est selon) des jeunes Créoles qui contrairement à leurs aînés ne portent plus ni grands chapeaux texans, bottes de cowboys et chemises western, mais optent pour le look ghetto avec pantalons "baggy", bobs ou casquettes, chaussures de sport de marque et débardeurs de basket. De même, ces jeunes gens intègrent le reggae, le rap, le R&B, la Nu Soul, le Hip Hop à leurs zydeco, avec parfois malheureusement les défauts de ce dernier, entre autres un appauvrissement du chant tant du point de vue mélodique que des paroles. Mais attention, ce serait une erreur d'en faire une généralité, certains de ces "gamins" produisant des albums et des spectacles à couper le souffle.

Cette paternité du Nouveau Zydeco, Keith Frank, sans doute l'artiste de zydeco le plus plébiscité aujourd'hui, la disputera à Beau Jocque jusqu'à la mort de ce dernier. Il faut reconnaître que son approche, avec une très large palette allant de la tradition la plus ancienne à la plus téméraire des expériences nouvelles justifie amplement cette revendication. Sans doute les deux musiciens jouèrent-ils un rôle aussi important dans l'avènement de ce zydeco renouvelé.

Une question se pose aussi : qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, zydeco ? Eh bien il s'agit, là encore, de la déformation d'un terme français, les z'haricots. Un morceau traditionnel du zydeco porte le titre Les Haricots Sont Pas Salés. A une époque où le sel était une denrée onéreuse, alors que les haricots étaient l'aliment de base, les communautés de Louisiane, Creole comme Cajun, étaient assez pauvres. L'expression parle de la difficulté à joindre les deux bouts. On tend à accorder la paternité du terme zydeco à Clifton Chenier, mais c'est une affirmation qui, bien que probable, reste à vérifier. Il se peut en effet qu'elle lui soit antérieure.

Enfin, de récentes recherches en musicologie remettent en question le lieu de naissance du zydeco tel qu'on le connaît aujourd'hui dans sa forme traditionnelle. En effet, longtemps considéré comme natif du Sud-Ouest de la Louisiane, il semblerait qu'il ait en réalité pris corps de l'autre côté de la frontière de l'état, dans la ville toute proche de Houston, au Texas. Les échanges, migrations, permanentes ou temporaires, de Créoles entre Houston et la Louisiane sont en effet monnaie courante et ce depuis longtemps, pour les mêmes raisons qui ont vu les noirs du Mississippi ou d'Alabama "monter" à Chicago : l'emploi, l'attrait d'une vie plus aisée en ville que le travail (ou pire, le chômage) aux champs. La scène zydeco de Houston est en effet très prolifique, et ce depuis la moitié du 20ème siècle. Aussi cette affirmation n'est-elle pas dénuée de bon sens.

Voilà, les quelques lignes qui précèdent sont destinées à "dégrossir" un peu le contexte du zydeco pour qui n'est pas familier du genre. Il est bien entendu que ce texte n'a pas l'ambition de tout vous apprendre sur le sujet, et son auteur assume totalement ses imprécisions, approximations, voire ses imperfections. De toutes façons, les parties les plus précises et les plus crédibles de cet article ont été honteusement piquées à plusieurs articles et conversations avec Philippe Sauret, auteur de la rubrique Zydecoland de notre éminent confrère Soul Bag. Ne le lui répétez pas, si ça sort d'ici, je saurai que c'est vous.

: RENE MALINES

 

Nonobstant, pour en savoir plus sur le sujet, quelques lectures recommandées :

- Zydecoland > Rubrique régulière de Philippe Sauret dans le magazine Soul Bag (ben oui, quand même).

- Musiques Cajun, Creole & Zydeco > de Robert Sacré (Que Sais-je ? 3010 Pr. Univ. de France), 1995

- Louisiane. Musiques cajun, zydeco et blues > (avec CD audio) de Sébastien Danchin, Ed. du Layeur

En anglais :

- The Kingdom of Zydeco > by Michael Tisserand, Arcade Publishing 1998

Sur le Web :

- Zydezine > par Gary Hayman :

http://users.erols.com/ghayman/ - (en anglais)

- La Gazette des Bayous > par Didier Lonjard (entre autres) :

www.bayouprod.com/francais.htm - (en français ou en anglais).

 

Discographie sélective recommandée :

- Clifton Chenier > Tout, et surtout les Live.

- Boozoo Chavis > Down Home On Dog Hill (Rounder 1 1661-2166-2)

                                  Live At The Habibi Temple (Rounder CD 2130)

- Beau Jocque > Tout, essentiellement chez Rounder.

- Buckwheat Zydeco > Tout, beaucoup chez Rounder, aujourd'hui sur son propre label Tomorrow Recordings, et particulièrement son tout dernier 'Jack Pot !' et son 'Down Home Live'.

- Keith Frank > Tout, quel que soit le label.

- Chez les jeunes, le phénomène :  André Thierry > A rechercher sur le web, deux albums indispensables.

- Stomp Down Zydeco > Une excellente compilation live (un feu d'artifice !) toujours disponible chez Rounder.

Il y en a plein d'autres, et c'est leur faire injustice que ne pas les citer tous ici, mais la liste serait si longue !

 

Illustration : © Martin Belcour