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SAM KU WEST
Le guitariste Hawaïen oublié


Il y a quelques années déjà, j’avais correspondu avec C., un amateur anglais de steel guitare. Il cherchait des informations et des enregistrements sur des artistes français : Gino Bordin, Alex Manara, etc.. Il était ainsi entré en contact avec Ida Brun et Alex Manara (voir le disque "Paris, Plage d’Hawaï").

Il m’avait aussi parlé de ce guitariste hawaiien oublié qu’était Sam Ku West : nous savions qu’il était mort à Paris en 1930, sans date précise. Je le connaissais, bien sûr, pour ses faces sur des compilations américaines où souvent il apparaît en photo sur la pochette. Hélas ! Il n’y avait, alors, seulement que cinq ou six titres disponibles. Sam Ku West est une référence pour les joueurs et historiens de guitare hawaïenne : un Mozart, un Django Reinhardt ou un Jimi Hendrix du genre !

J’ai donc fait quelques recherches dans les cimetières parisiens dont le Père Lachaise. Malgré leurs efforts et leur gentillesse les employés n’ont rien pu trouver, car Sam n’était pas décédé à Paris… mais à Neuilly-sur-Seine à l’hôpital américain…

Ce n’est qu’en février 2006, que je vais l’apprendre en entrant en contact avec Les Cook le producteur du récent disque "Hawaïan Hula Blues" sur Grass Skirt Record.  Je lui avais envoyé un courrier électronique toujours pour la même raison : il cherchait des disques de joueurs de steel français. Le projet d’éditer l’œuvre du musicien lui tenait à cœur, d’autant plus qu’il était en relation directe avec la famille dont le petit-fils de Sam, à Honolulu. Ces derniers lui avaient prêté des exemplaires de 78 tours et des photos inédites. Comme Les me l’indiquera plus tard, curieusement, les enregistrements de Sam Ku West n’avaient jamais été republiés, ce qui n’était pas le cas d’autres virtuoses comme Sol Hopi, King Bennie Nawah, Sol K. Bright, etc. Il faut s’imprégner de ce style décontracté de slide, de ce phrasé doux et aérien fait de swing enrobé de blues notes. Si vous aimez tous ces vieux guitaristes de jazz, de blues et de country : Eddie Lang, Lonnie Johnson, Carl Kress, Tampa Red, Casey Bill Weldon, Cliff Carlisle, etc. ce disque est pour vous !

Les Cook avait déjà contacté la Mairie de Neuilly-sur-Seine et s’étaient procurés un duplicata de l’acte de décès qui avait eu lieu le 7 septembre 1930 à l’hôpital américain. Quelques temps avant, C. m’avait indiqué la date précise de la mort de Sam, et je m’interrogeais encore sur la poursuite des recherches pour trouver la tombe. Il semblait que ça se précisait. Les me parla de son disque que je n’avais pas encore et, à tout hasard, m’envoya des documents qu’il avait collecté. Il y avait l’acte original de décès, mais surtout les coupures des éditions parisiennes de deux journaux américains : le Chicago Daily Tribune et le New York Herald. C’est là que j’ai lu que le guitariste, et harpiste, avait été inhumé au Nouveau Cimetière de Neuilly, avant que son corps ne soit rapatrié à Hawaï (ce que Les ne croyait pas). Je le connaissais bien, seul vestige du passé dans ce quartier, il date de la fin du dix-neuvième siècle et se situe juste derrière la Grande Arche de la Défense. Il y a eu des projets de déménagement car ces "locataires", au prix du mètre carré de bureau dans le coin, sont devenus indésirables. Il y a même eu un projet de mettre une dalle et de le couvrir ! C’est grâce à Sarkosy, Maire de Neuilly, que ça n’a pas bougé : il fallait payer et il ne voulait pas que cela soit à la charge de sa ville ! Cette partie est en effet gérée par un organisme particulier.

J’ai alors trouvé les coordonnées du cimetière et j’ai téléphoné :

  • Oui la tombe est toujours là. Mais il n’y a pas de plaque. Ce n’est qu’un carré de terre.

  • Nous allons passer, vous êtes ouvert demain ou dimanche ?

  • Samedi, je ne serais pas là mais il y aura mon collègue. Mais c’est difficile à trouver si vous ne connaissez pas ! Pourtant, le lendemain il était là.

Nous avions pris le RER jusqu’à la Défense. Le vent était glacial. J’avais une boîte de CD avec une reproduction de la pochette du disque de Grass Skirt Record où Sam Ku West joue avec sa steel guitare National. Malgré les indications, ce fut difficile de trouver le chemin et l’entrée dans ce "no man’s land". La municipalité propose d’ailleurs une navette partant du centre de Neuilly, pour les gens qui veulent se rendre à ce cimetière, tellement l’accès est compliqué !

Un peu perdu, j’étais entré dans l’Hôtel qui surplombe les rangées de tombes américaines et françaises, civiles et militaires. La réceptionniste, étonnée de ma question me répondit :

  • Où est l’entrée du cimetière ? Je n’en ai aucune idée. Vous savez : les gens n’aiment pas visiter les cimetières !

Ce n’était pas notre cas. Ni pour le gardien qui nous avouera que pendant ses vacances, surtout à l’étranger, il en visitait souvent! Ils sont nos mémoires : dès la préhistoire et l’Egypte ancienne…

Après avoir longé la voie rapide qui va vers l’autoroute, entre les tours et les détritus, nous sommes arrivés dans la petite rue de Valmy où est située l’entrée. Comme s’il nous attendait, l’employé du cimetière était là et nous emmena. Après quelques minutes de marche au travers des sépultures, nous arrivâmes vers un carré de terre nue, anonyme où quelques brins d’herbes subsistaient difficilement dans la terre humide. Le gardien alla au bout de l’allée puis il compta jusqu’à quatre….

  • Tombe 4, 3ième division, Série 49. C’est ici. Normalement. Mais tant qu’ils ne sont pas déterrés, on n’est jamais sûr ! Parfois on a des surprises ! Mais si nous avons la fiche, il ne doit pas avoir bougé. Pour prolonger la concession, il faudrait payer des arriérés : 121 Euros par tranches de dix années de retard. Enfin, il est tranquille jusqu’en 2007. Parce qu’il est au bout du cimetière. S’il avait été devant il ne serait plus là : c’est les premières places qui partent. Juste à côté de l’entrée. Il y a un projet de faire une nouvelle ouverture par ici. Et puis le conservateur va prendre sa retraite, alors ça va sûrement changer. Il a encore un peu de temps. Sinon il ira dans la fosse commune, là bas. Non ! Il n’est pas le seul oublié ici. Il y en a plein, nous indiqua-t-il d’un geste de la main. Tous ceux qui meurent à l’hôpital américain viennent nécessairement ici.

((C) Christian & Marie)
 

Nous déposâmes un bouquet et marquâmes la tombe avec des photos, le faux CD et une indication :

Au grand musicien et maître de la guitare hawaïenne
SAM KU WEST
Né à Honolulu, îles Hawaï, le 22 juillet 1907
décédé à Neuilly-sur-Seine
le 7 septembre 1930, âgé de 23 ans.

Un vent encore plus glacial soufflait et le ciel s’assombrissait, les gratte-ciels s’illuminaient et le trafic incessant de voitures continuait.

La tombe avait été gardée propre mais, sur ce petit morceau de terre, ce soir là, la nuit était sombre et le sol était froid… il devait faire plus chaud à Hawaï. Est-ce que le vent se rappelle les noms de ceux qui ont soufflé dans le passé ?

Nous étions conscients que depuis le début des années trente, nous devions être les premiers à venir nous recueillir ici.

Le cimetière va bientôt fermer, nous faisons quelques photos pour les envoyer à Les qui les transmettra à Hawaï. Puis l’employé nous raccompagne.

Né à Honolulu, le 22 juillet 1907, Sam Ku West meurt d'une maladie, peut-être intestinale (les archives de l'hôpital ont été détruites), alors qu'il réside à Paris depuis quelques mois. Il y suit des cours de harpe qu'il pratique aussi en virtuose. Il s’était arrêté dans la capitale française lors d’une tournée mondiale, via le Japon, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et avait joué en Italie et à Paris (au Gaumont Palace). Peut-être les retombées de la crise de 1929, l’ont-il bloqué en France ? Des vagues présomptions de responsabilité sur la mort du guitariste incomberaient à sa manageuse : Irène West (elle est sans lien familial avec Sam).

Complètement ignoré, relégué au fond du Nouveau Cimetière de Neuilly, le lieu, situé sur la commune de Nanterre, est le seul témoin du passé dans ce quartier d'affaire: un site surréaliste entre les tours, chantiers, voies express, parkings. Dans l’axe historique partant du monumental Arche de la Défense et allant vers l’Arc de Triomphe, les Champs Elysées, la Place de la Concorde et le Louvre… le guitariste hawaïen oublié depuis 76 ans est plutôt bien situé !

Le lendemain, un dimanche, Les me téléphona, ému. Le soir même en fonction du décalage horaire, il contactera la famille à Hawaï. Il ne savait pas encore ce qu’allait devenir la sépulture, si les petits-enfants voulaient faire quelque chose. Nous ne le savons toujours pas quand j’écris. "Sinon, moi je ferais quelque chose", me déclara Les. Nous nous sommes proposés pour toutes les démarches administratives, bien évidemment.

Après avoir charmé avec sa harpe et sa steel guitare acoustique, peut-être Sam Ku West restera parisien ou va-t-il retourner enfin vers son île ? Pour retrouver les danseuses de Hula et les légendes hawaïennes dont, maintenant, il fait partie…

Aloha!!!

 : Christian et Marie du HBI (*)


Procurez-vous de toute urgence le CD :

> Grass Skirt Records "Hawaiian Hula Blues" CD by Sam Ku West sur le site.

> à la boutique du luthier Charle à Paris.

> n’est pas (encore !) distribué par les grandes surfaces de la Défense (10 mn à pied du cimetière).

(*)  HBI=Hawaïan Bureau of Investigation : section "keep my grave clean...".

Le HBI comprend, en plus, Les Cook, C. et un membre honorifique: Jacques Kailua .Et peut-être vous ?


 

"Feuilleton" à suivre dans le n°9 de VIRUS DE BLUES...